La ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, a déclaré mardi qu'elle n'interviendrait pas pour faire désigner un juge d'instruction indépendant dans l'enquête sur la fortune de l'héritière de L'Oréal Liliane Bettencourt.
Philippe Courroye choisira
Elle a ainsi rejeté la recommandation du procureur général de la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, exprimée lundi et relayée mardi par l'opposition de gauche, qui estime que le procureur de Nanterre Philippe Courroye, proche de Nicolas Sarkozy, doit se dessaisir.
Interrogée lors des questions d'actualité à l'Assemblée nationale sur ce dossier, où est notamment mis en cause le ministre du Travail, Eric Woerth, Michèle Alliot-Marie a expliqué qu'elle souhaitait laisser au procureur le choix du cadre procédural. "Ce choix lui appartient et il ne saurait être dicté par une quelconque position politicienne. Je ne vois pas ce qui, en l'état, justifierait l'intervention de quiconque dans la procédure", a-t-elle dit.
Un proche de Sarkozy
Philippe Courroye, contesté en raison de ses liens avec Nicolas Sarkozy et du fait de son statut qui le lie au pouvoir exécutif, conduit actuellement la procédure sous forme d'enquêtes préliminaires. Il a fait savoir lundi qu'il entendait continuer ainsi.
La ministre s'est déclarée neutre. "Je respecte, moi, l'indépendance de la justice et j'ai trop de considérations pour les magistrats pour m'immiscer en quoi que ce soit dans les choses", a ajouté la ministre de la Justice. Le ministère peut légalement donner des ordres aux procureurs et ce point a été développé et inscrit dans la loi par l'actuel gouvernement.
Le PS demande un juge
Philippe Courroye est accusé par l'opposition de protéger le pouvoir en gardant l'affaire sous son contrôle. Sa latitude procédurale est en outre jugée insuffisante pour le dossier. Le procureur n'a pas tous les pouvoirs d'un juge d'instruction, en matière de perquisitions, écoutes téléphoniques ou investigations à l'étranger. La défense n'a pas accès au dossier d'une enquête préliminaire, alors que c'est le cas dans le cas d'uine information judiciaire.
Les enquêtes préliminaires du procureur portent notamment sur des soupçons de financement illicite de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 et sur les liens entre Eric Woerth, ministre du Budget de 2007 à début 2010, avec Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt.
Dominique de Villepin, ex-Premier ministre et rival à droite de Nicolas Sarkozy, a estimé qu'il serait "normal" de confier cette affaire à un juge d'instruction. "J'en reste aux principes et le principe c'est que dans toute démocratie il faut qu'une justice indépendante puisse se prononcer", a-t-il dit sur LCI. Le président du groupe socialiste à l'Assemblée, Jean-Marc Ayrault, a également estimé en marge de la séance des questions à l'Assemblée que le refus de désigner un juge d'instruction était inexplicable et cachait une volonté d'étouffer l'affaire.
Résistance du pouvoir "très choquante"
Plusieurs dirigeants socialistes sont allés dans le même sens. "Cette résistance du pouvoir en place (qui empêche) la liberté et l'indépendance de la justice est très choquante", a déclaré Ségolène Royal, candidate à la présidentielle de 2007, sur Europe 1. Le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, rappelle de son côté que le procureur est légalement tenu d'informer le ministère de toute son enquête.
"Ainsi est assurée la poursuite d'une enquête opaque, contrôlée par le pouvoir, sans juge indépendant, sans partie civile, sans avocats, sans droits de la défense et sans réels moyens d'investigation, dont seuls les plus hauts représentants du pouvoir exécutif connaissent les développements, au jour le jour", dit le syndicat dans un communiqué.