Le phénomène. "Une baguette, mais pas trop cuite s'il vous plaît". Cette phrase, les boulangers français l'entendent de plus en plus. Un phénomène inquiétant, qui cache un abandon progressif d'une coutume tricolore, aux dépens du goût, voire même de la santé, s'alarment certains spécialistes. À tel point que le très sérieux Wall street journal a voulu mener son enquête. Après avoir sondé une bonne partie des boulangeries parisiennes, sa conclusion est sans appel : "l'un des grands symboles de la gastronomie française est en danger". Faut-il s'inquiéter ? On décrypte.
Le pain a toujours la cote... "Même si la consommation de pain en France a décliné depuis les années 1950, le pain est toujours un aliment essentiel", tient d'abord à rassurer le quotidien. Il est "considéré par beaucoup de gens comme une extension du couteau et de la fourchette avec lequel on pousse la nourriture dans l'assiette", reconnaît-il. Les Français (98%, selon le Credoc) consomment toujours en moyenne une demi-baguette par jour, même si cette proportion a été divisée par six en un siècle.
… Mais la mutation est entamée. Ce qui est menacé, en revanche, c'est l'essence même de notre légendaire baguette. "Célèbre pour sa forme particulière et son enveloppe croustillante, la baguette risque d'être désormais décrite en d'autres termes: pâteuse et mal cuite", raconte le journal américain. Seules 10% des baguettes sortent des fourneaux cuites normalement, croustillantes comme le veut la tradition, selon plusieurs professionnels interrogés par Europe1 et plusieurs médias, dont le Wall street journal.
Pourquoi cette mutation ? Les boulangers interrogés par le Wall Street Journal sont unanimes : les Français changent leurs habitudes, et préfèrent maintenant manger du pain moins cuits. "Quand la croûte est dure, on profite moins de la mie. Moins cuite, c'est moelleux, et cela s'écrase sous la dent : j'aime bien", explique ainsi Antoine, un client, au micro d'Europe1. "Je suis dans le commerce depuis 20 ans et à mon grand regret, la demande a changé depuis 7-8 ans. Beaucoup de clients me demandent uniquement des baguettes pas trop cuites. Seules les personnes âgées continuent de demander une baguette bien cuite", témoigne également Ridha Khadher, prix de la meilleure baguette de l’année 2013, cité par Ouest-France.
Grand désarroi des puristes. "La baguette se transforme graduellement en quelque chose d’autre", déplore Steven Kaplan de l’université Cornell, spécialiste de l’histoire du pain français. Ce dernier observe ainsi "avec dépit" la disparition d'un "des plus grands symboles de l’héritage français". "La croustillance est la marque de fabrique du pain français", poursuit également l’écrivain Jean-Philippe de Tonnac.
Un risque pour la santé ? Le Wall Street journal s'inquiète également des éventuels risques pour la santé. Une mie mal cuite n'est pas suffisamment aérée pour faire rentrer les enzymes digestifs, ce qui entraîne un risque de brûlures d'estomac et de flatulences, décrypte ainsi une nutritionniste parisienne citée par le journal américain. "C'est épais, élastique, un peu comme du chewing-gum. Mais la différence, c'est qu'avec le chewing-gum, vous n'avalez pas", explique la spécialiste. Le quotidien finit toutefois sur une note optimiste : les boulangers ne sont pas décidés à se laisser faire. "Le client ne sait pas ce qui est bon… c’est le travail du boulanger de l’éduquer", conclut un boulanger.