Sur le papier, tout est prévu pour les migrants de Calais en cas de déclenchement du Plan du grand froid : un hangar industriel de 4.000 mètres carrés sera ouvert la nuit si les températures chutent cet hiver en complément du dispositif d'accueil de jour des migrants annoncé pour début janvier.
Mais les inconnues sont nombreuses : la réaction des migrants dont le nombre a explosé depuis l'hiver dernier, le spectre du démantèlement des squats et la rudesse de l'hiver sont autant de données susceptibles faire basculer une situation déjà difficile. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que Calais compte 2.500 migrants, le nouveau centre ne peut en accueillir que 1.500 grand maximum (et seulement les nuits où le froid ressenti tombe en deçà de -5 degrés).
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>>> Pour mieux comprendre les enjeux de cet hiver à Calais, Europe 1 a interrogé David Lacour, le directeur de l'association Solid'R chargée de gérer le nouveau lieu d'accueil des migrants en cas de déclenchement du Plan grand froid (et qui gérait déjà l'ancienne salle BCMO).
Les migrants, une population qui n'a rien à voir avec celle des SDF. Dispositif interministériel, le Plan grand froid prévoit un renforcement des dispositifs d’hébergement d’urgence déjà existants dès lors que le froid ressenti atteint les -5 degrés. A l'échelle de la France, ce Plan s'adresse donc avant tout aux SDF. Or, à Calais, la problématique est différente car il s'agit d'une population de migrants - désormais évaluée 2.500 personnes. "Les personnes SDF sont souvent en perte de repères, en panne d'insertion, ce qui n'est pas du tout le cas des populations migrantes", analyse David Lacour. "Jusqu'en 2012/2013, en tout cas, ceux qui arrivaient étaient des gens d'une certaine condition dans leur pays… parce qu'il fallait avoir les moyens pour le quitter", précise-t-il. Des gens qui ont "un bon anglais", "une vision de la vie" et pas les problèmes psychiatriques que l'on peut rencontrer chez les SDF. "Ce sont des gens qui n'ont pas de problèmes de comportement, qui sont très respectueux. Si on leur dit que le repas est à midi, ils sont là à midi moins cinq", explique le directeur de l'association Solid'R.
Certains migrants vivent sous tente ou dans des baraquements improvisés. Ceux-là sont souvent réticents à abandonner leur place même en cas de grand froid… de peur de se la faire piquer au gré des arrivées quotidiennes. Il y a aussi ceux qui sont complètement à la rue, "ce sont les plus susceptibles de venir nous voir", estime David Lacour.
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Le spectre du démantèlement et d'un hiver rude. Sur les quelque 2.500 migrants "survivant" à Calais, selon l'expression de David Lacour, plusieurs centaines vivent dans les "squats" Vandamme et Tioxide… mais la menace d'un démantèlement pour raisons sanitaires, par exemple, n'est pas exclue malgré l'hiver. "S'il y a démantèlement, on va avoir un sacré problème", devise le directeur de l'association.
La situation est, en effet, incomparable avec celle de l'hiver dernier : la population de migrants n'était alors "que" de 500 à 700 personnes. Par ailleurs, l'hiver avait été plutôt clément : l'ancien bâtiment, la salle BCMO, n'avait ouvert qu'une petite dizaine de fois. De plus, si la municipalité avait déjà lancé une chasse aux squats, tous n'avaient pas disparu : tout cela contribuait, même fragilement, à un certain équilibre selon l'association Solid'R.
Quelle réaction des migrants? Certes, le nouveau lieu d'accueil peut théoriquement accueillir beaucoup plus de monde (1.500 personnes a assuré le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin). Mais malgré son expérience et son savoir-faire, l'association Solid'R avoue ne pas savoir à quelle réaction s'attendre de la part des migrants : "je ne sais pas s'ils viendront en nombre ou pas". "Dans la salle BCMO, on a accueilli jusqu'à 180 personnes et on a jamais eu de problème car il y avait un lien social. On n'a pas besoin d'un haut-parleur pour parler à 150 personnes", explique David Lacour.
Jusqu'à présent, d'après lui, les migrants ont toujours compris que l'hébergement, en cas de grand froid, ne se faisait que la nuit de 18 heures jusqu'au lendemain matin 10h. "Je me souviens d'un monsieur, un Egyptien, qui séchait ses chaussettes tous les soirs et les remettait tous les matins pour repartir dans la neige. Le matin, il nous serrait la main en disant 'merci' alors qu'on le mettait dehors", raconte-t-il.
Mais on ne gère pas 180 personnes comme on en gère 1.500 : "qu'est ce que je fais si, un matin, ils me disent : 'on reste!'", s'inquiète le directeur de Solid'R. Le constat est le même pour l’accueil des femmes et des enfants, des cas de figure "anecdotiques" jusqu'à cet été et l'afflux de femmes enregistré.
En attendant, cette "solution pas géniale" a le mérite d'exister, reconnaît David Lacour qui se rassure en se disant que le nouveau préfet est sensible à la question.