Elle le répétait à l’envi, avant même de s’installer à l’Elysée : "je ne veux pas être une potiche". Alors une fois le palais présidentiel conquis avec son mari, Danielle Mitterrand, qui s'est éteinte mardi, s’est attachée à donner à sa très officieuse fonction de première dame de France un nouveau sens. Elle trancha ainsi sensiblement avec les pratiques de ses devancières Yvonne de Gaulle, Claude Pompidou et Anne-Aymone Giscard d’Estaing. Et ni Bernadette Chirac, ni Cécilia ex-Sarkozy, ni enfin Carla Bruni-Sarkozy, qui lui succédèrent, ne répèteront cette implication discrète mais bien réelle dans la vie publique.
Pas question donc pour Danielle Mitterrand de n’être, à l’image d’Yvonne de Gaulle, que l’ombre du président. Celle qui l’accompagne discrètement dans ses déplacements afin de donner l’image du couple traditionnel parfait. "Tante Yvonne" et "Tatie Danielle" n’ont guère de commun que d’avoir été affublées d’un surnom affectueux par les Français. L’une est croyante quand l’autre est athée et profondément laïque. L’une se veut garante de la bonne morale, en refusant ainsi l’accès de l’Elysée à toute personne divorcée, quand l’autre est l’épouse, en toute connaissance de cause, d’un mari volage.
Fi de la Realpolitik
Pas question non plus de s’inscrire dans la tradition grande bourgeoise incarnée par Claude Pompidou et Anne-Aymone Giscard d’Estaing. La première, surnommée "la Reine Claude" ou "madame de Pompidour" par le Canard Enchaîné, avait le luxe ostentatoire. Tout le contraire de la femme de gauche qu’était Danielle Mitterrand. Quant à l’épouse de Valéry Giscard d’Estaing, elle ne parviendra jamais à se départir de son image de quasi-aristocrate, malgré les efforts de son mari. Danielle Mitterrand avait elle la fibre populaire naturelle, et revendiquée.
Alors à son arrivée à l’Elysée, Danielle Mitterrand bouscule les codes. Elle fait ainsi fi de la Realpolitik inhérente à la fonction de président de la République. Ce que ses suivantes, Bernadette Chirac, puis les deux épouses Sarkozy, ne se permettront jamais. Ses interventions incessantes sur la cause kurde ou tibétaine gênent son mari et agacent le Quai d’Orsay. En 1989, elle s’attire les foudres officielles de la Chine en recevant le dalaï-lama. Un an plus tard, en apportant son soutien aux Sahraouis, elle fâche le roi du Maroc Hasan II, qui fustigera une "épouse morganatique, (une) roturière de mauvais aloi"
Et son avis comptait. "François Mitterrand me demandait de tenir compte de ce qu’elle disait", a assuré Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de 1988 à 1993, sur Europe 1. "Ce n’était pas négligeable dans son esprit. C’était toujours intéressant de l’écouter.".
Idem sur le plan intérieur. Point de devoir de réserve. En 1986, alors que la cohabitation vient de s’installer après la victoire dans la droite, elle fustige dans Le Journal du Dimanche le gouvernement Chirac, qui fait "tout et n’importe quoi". En 1993, ce sont les lois Pasqua sur l’immigration qu’elle brocarde. A tel point qu’elle s’attire les foudres de députés de la majorité de droite qui, dans une tribune, s’interrogent : "Qui veut faire taire Danielle ?" En 1995, elle réalise sa dernière provocation de première dame en embrassant, sur les marches de l’Elysée, Fidel Castro en visite officielle en France.
Elle crée elle aussi sa fondation
En revanche, ce goût pour la politique ne l’empêche pas de perpétuer une tradition lancée par Claude Pompidou, qui, la première avait crée une fondation, à l’adresse des enfants handicapés en l’occurrence. Anne-Aymone Giscard d’Estaing choisira elle aussi les enfants, comme Bernadette Chirac plus tard, via la fameuse opération Pièces jaunes. Danielle Mitterrand préfère elle se tourner vers l’international. En 1986, elle fusionne ainsi deux associations fondées à son arrivée à l’Elysée, pour créer France Libertés, qui deviendra l’instrument de son combat, le mégaphone de ses prises de position. Là encore, elle se démarque, puisque sa fondation sera résolument tournée vers l’international, vers les peuples opprimés. Aujourd’hui, la tradition reste perpétuée avec Carla Bruni-Sarkozy, dont la fondation vise à lutter contre le Sida.
En 14 ans de présence à l’Elysée, un record qui ne devrait plus être battu sous la Ve République, Danielle Mitterrand n’a donc pas ménagé sa peine. Un activisme qui a su forcer l’admiration de beaucoup. "Si j’avais su, j’en aurais fait autant que Danielle Mitterrand", a même glissé un jour… Anne-Aymone Giscard d’Estaing.