L'étau se resserre autour de François Fillon. Huit jours après les révélations du Canard Enchaîné sur les emplois fictifs présumés de son épouse, le candidat LR est visé par une enquête pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, désormais étendue à ses enfants, employés lorsqu'il était sénateur. Le député et son épouse ont déjà été entendus par la justice, tout comme son ancien suppléant à l'Assemblée nationale, Marc Joulaud. Et au vu des premiers résultats des investigations, plusieurs voix au sein des Républicains réclament déjà un changement de candidat pour l'élection présidentielle.
Pas de badge, mais des contrats. Dès jeudi 26, au lendemain de l'ouverture de l'enquête, une perquisition a été menée dans les locaux de la Revue des Deux Mondes, dont Pénélope Fillon aurait été salariée de mai 2012 à décembre 2013. L'opération s'est poursuivie jusque tard dans la soirée. Le lendemain, le directeur éditorial de la revue, Michel Crépu, était le premier entendu par les enquêteurs, durant près de quatre heures. "J'ai tout dit", a-t-il seulement glissé à l'issue de cette audition, suggérant qu'il avait tenu à la justice les mêmes propos qu'aux journalistes du Canard Enchaîné. "Elle a bien signé deux, ou peut-être trois notes de lecture", sans laisser la moindre "trace de ce qui pourrait ressembler à un travail de conseiller littéraire", avait-il affirmé au quotidien.
L'enquête s'est accélérée en début de semaine, avec, notamment, l'audition du couple Fillon et les perquisitions à l'Assemblée nationale. L'opération a permis d'établir que Penelope Fillon n'avait pas de badge d'accès au bâtiment, ni d'adresse mail au format des attachés parlementaires. Elle a également été l'occasion de la saisie des contrats de travail de l'épouse du candidat LR en tant qu'attachée parlementaire. L'un de ces documents, signé en 1998 et valable jusqu'en 2002, établit qu'elle est censée travailler à la permanence du RPR, située au Mans. Selon l'Obs, qui a interrogé plusieurs militants, personne ne se souvient l'y avoir vue. Mais la mention "Sablé-sur-Sarthe" fief de François Fillon, figure également sur le contrat, cette fois sans adresse précise… L'entourage du député souligne que son épouse était missionnée pour "faire remonter" la "voix de la Sarthe" auprès de son mari, ce qui pourrait expliquer son absence de badge à Paris.
" C'est toujours plus compliqué de démontrer que quelque chose n'existe pas "
Une mission aux contours flous. La réalité de l'embauche confirmée, les enquêteurs cherchent désormais à établir si Penelope Fillon a bien travaillé contre ses rémunérations. Son avocat a assuré qu'elle avait fourni aux enquêteurs "tous les détails démontrant l'existence d'un travail effectif", jeudi. "Mais c'est toujours plus compliqué de démontrer que quelque chose n'existe pas", tempère un magistrat. Ces derniers jours, la défense du candidat semble d'ailleurs miser sur les contours flous des activités de collaborateur parlementaire. Elle "a corrigé mes discours", "a reçu d'innombrables personnes qui voulaient me voir et que je ne pouvais pas voir", "m'a représenté dans des manifestations et des associations", a énuméré François Fillon. Des missions bien difficiles à quantifier.
Dans ce cadre, les enquêteurs ont également entendu Marc Joulaud, suppléant de François Fillon, qui a occupé son fauteuil de député de la Sarthe de 2002 à 2007, rémunérant l'épouse de son prédécesseur à hauteur de 6.900 euros bruts mensuels. Alors que l'ancien Premier Ministre a décrit une relation de travail très personnelle avec son épouse, comment son suppléant va-t-il justifier à son tour de ses activités ? "Ce qu'il faut comprendre, c'est que quand Joulaud l'a remplacé, le député élu c'était quand même Fillon", explique un membre de l'entourage du candidat. A l'issue de son audition par les enquêteurs, mercredi, le suppléant a simplement indiqué qu'il souhaitait "que cette affaire soit clôturée rapidement".
Jeudi, l'enquête a en outre été étendue, à nouveau sur la base de révélations du Canard Enchaîné. L'hebdomadaire affirme que les enfants du couple Fillon, Marie et Charles, auraient touché 84.000 euros bruts à eux deux en tant qu'assistants parlementaires de leur père lorsqu'il était sénateur, et alors même qu'ils n'avaient pas terminé leurs études d'avocat. Dans la même logique que pour leur mère, les enquêteurs vont chercher à vérifier la matérialité du travail effectué par les enfants Fillon.
Une enquête accélérée. En une semaine, la majorité des protagonistes de l'affaire ont donc déjà été convoqués et entendus par les enquêteurs, ce qui peut surprendre dans un dossier politico-financier de cette ampleur. Ces délais raccourcis s'expliquent par le contexte très particulier de l'affaire, dont le personnage central est candidat à l'élection présidentielle. Or le premier tour de cette échéance est prévu dans moins de trois mois : les magistrats souhaitent purger le dossier au plus vite. "On a 15 jours à tenir car on sait que dans les 15 jours qui viennent, ou aura les résultats de cette enquête", a déclaré François Fillon lui-même, mercredi. À noter que les personnes déjà interrogées peuvent à nouveau être entendues par la justice, par exemple si les éléments saisis lors de perquisitions ne corroborent pas leurs propos. L'audition des enfants Fillon, tout comme la saisie de documents au Sénat, pourraient intervenir dans les prochains jours.
Mais le parquet national financier (PNF) reste maître du calendrier, et dans ce genre d'affaires, les investigations prennent en général plusieurs mois. Le dossier ne devrait donc pas être clos avant, au moins, plusieurs semaines. Une fois que le PNF estimera toutes les investigations nécessaires accomplies, il prendra une décision. Trois voies seront alors possibles : un classement sans suite, si aucune infraction n'est prouvée, l'ouverture d'une information judiciaire confiée à des juges d'instruction, pour pousser les investigations, ou une citation directe des protagonistes devant le tribunal correctionnel.