La plus haute instance judiciaire française a suivi les recommandations de l'avocat général qui, à l'audience, avait estimé que Richard et Rocchi ne pouvaient pas être condamnés pour complicité de détournement de fonds publics, dans la mesure où la Cour d'appel a, dans sa décision, reconnu qu'ils "ignoraient le caractère frauduleux de l'arbitrage" qui avait octroyé 404 millions d'euros à Bernard Tapie.
"La Cour de cassation censure les déclarations de culpabilité du directeur de cabinet (Stéphane Richard) et du président du consortium (Jean-François Rocchi)", a tranché la Cour. "En effet, ils ignoraient le caractère frauduleux de la décision rendue par le tribunal arbitral. Dès lors, la Cour d'appel ne pouvait considérer qu'ils étaient complices du détournement", a souligné la Cour de cassation.
Stéphane Richard, à l'époque directeur de cabinet de la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, a été condamné à un an de prison avec sursis et 50.000 euros d'amende, ce qui a entraîné son départ d'Orange. Jean-François Rocchi (ancien responsable du Consortium de réalisation/CDR - entité chargée de gérer le passif du Lyonnais) s'est vu infliger deux ans de prison avec sursis et 25.000 euros d'amende.
Pour ne pas avoir formé de recours contre cette sentence, Christine Lagarde a été reconnue coupable en 2016 de "négligence" par la Cour de justice de la République, mais dispensée de peine.
Deux condamnations confirmées
Dans ce dossier, la plus lourde sanction a été prononcée contre l'un des trois arbitres, Pierre Estoup, condamné pour escroquerie - trois ans d'emprisonnement et 300.000 euros d'amende. L'avocat historique de Bernard Tapie, Maurice Lantourne, s'est vu infliger trois ans de prison dont un an ferme, 300.000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction d'exercer.
La Cour de cassation a confirmé ces condamnations, désormais définitives, mais a précisé que Maurice Lantourne "ne pouvait pas être condamné à l'interdiction temporaire d'exercer la profession de conseil juridique" car cette profession "n'a plus d'existence légale". "Seule l'interdiction d'exercer la profession d'avocat pouvait être prononcée", a rappelé la Cour.
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Concernant les dommages et intérêts accordés aux parties civiles, la Cour a rappelé que Pierre Estoup et Maurice Lantourne, ainsi que les sociétés en liquidation de Bernard Tapie, avaient été condamnés à payer environ 400 millions au CDR.
La Cour de cassation a précisé que cette dernière condamnation interviendra "en deniers ou quittance". "Cela signifie que si le consortium récupère tout ou partie des 400 millions d'euros détournés, ces fonds ne pourront se cumuler avec la somme obtenue en réparation de son préjudice. En d'autres termes, le consortium ne pourra recevoir plus de 400 millions d'euros", a indiqué la Cour de cassation.
Une décision de la cour d'appel cassée
La Cour de cassation a également cassé la décision de la cour d'appel qui déclarait recevable la constitution de partie civile de l'État français. "Les préjudices invoqués par l'État ne découlent pas directement de l'infraction dont a été victime le consortium. Ils existent en raison de l'obligation qui pesait sur l'État de garantir les dettes de celui-ci", a expliqué la Cour. En conséquence, "la cour d'appel de Paris devra donc statuer de nouveau sur ce point".
La Cour de cassation était appelée à trancher l'antique conflit entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais autour du rachat de l'équipementier allemand Adidas. Cet arbitrage privé, qui avait donné raison à Tapie et lui avait octroyé 404 millions d'euros, a ensuite été annulé au civil pour "fraude" en 2015 par la cour d'appel de Paris, qui a condamné l'ancien ministre à rembourser.
Une enquête avait aussi été ouverte pour déterminer si l'arbitrage avait été truqué en faveur de Bernard Tapie. Après une retentissante relaxe en première instance en 2019, quatre hommes ont été condamnés en appel le 24 novembre 2021. Ils avaient tous formé des pourvois en cassation. D'autres recours ont notamment été formés par le CDR ainsi que par les sociétés de Bernard Tapie, décédé le 3 octobre 2021, et l'État.