La longue marche silencieuse vers la barre et l'inspiration, avant de raconter son "13-Novembre". Au procès des attentats, la cour a fait mercredi un retour de six mois en arrière en se replongeant dans les auditions de parties civiles et notamment celle d'un pompier présent au Carillon. Aux abords de la salle d'audience, beaucoup s'étaient demandés comment se passerait cette étrange nouvelle phase de témoignages, au moment où le procès touche à sa fin. Très vite pourtant, le rituel installé à l'automne face à la cour par 350 rescapés ou proches se remet en place.
"J'ai compris ce qu'il se passait"
T-shirt à manches longues gris, cheveux noirs rasés, Christophe, 33 ans, s'accroche fermement au pupitre, comme tant d'autres l'avaient fait avant lui. Ses phrases sont courtes et factuelles, ses silences réguliers l'aident à maîtriser sa voix. Christophe est pompier. Le soir du 13 novembre 2015, appelé pour une chute dans un supermarché, il avait garé son ambulance face aux terrasses du Carillon et du Petit Cambodge. Avec ses deux collègues de 20 ans, ils prennent la dame en charge dans le camion quand retentit "le bruit effroyable, froid, sec". Il est "21h24".
"J'ai compris ce qu'il se passait", dit Christophe, qui demande des renforts. "Ça tire toujours, je ne ressens plus rien, j'attends juste qu'ils finissent leur travail". Christophe se tait. "121 cartouches de guerre tirées en 2 minutes 30 ça fait presque une cartouche par seconde". Christophe ouvre la porte du camion, touché par plusieurs impacts de balles. Au sol, décrit-il, "une femme face contre terre, elle a pris une balle dans le visage". Une autre criblée de projectiles - "elle est en train de mourir". Partout, "les yeux ouverts des morts", les trainées de sang, les gémissements.
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"Je me force"
"On tente de nous assassiner, je ne peux pas fuir et je dois faire mon boulot de pompier. L'enfer." Le "professionnel" reprend le dessus. À ses collègues : "Occupez-vous des gens qui sont conscients." "J'ai envie de pleurer parce que je ne comprends pas, j'ai envie de pleurer parce que je ne veux pas y croire", égrène sobrement Christophe, tête baissée. "J'ai envie de pleurer parce que j'ai peur du sur-attentat, j'ai envie de pleurer pour toutes les choses dégueulasses que j'ai vues et que je vois encore". Avant lui, Juan-Pablo et Carla, deux jeunes d'une bande d'architectes internationaux, avaient raconté la fusillade du Carillon de l'intérieur et la mort de leur ami Raphaël.
"Je me suis forcé à rester à Paris", explique Juan-Pablo, Canadien d'origine sud-américaine, aujourd'hui 34 ans. "Je me force à marcher dans les rues, à m'asseoir en terrasse, à manger dos à l'extérieur, à prendre le métro. Je pense que je me force un peu moins maintenant, mais la peur est toujours là". Dans sa tête d'architecte, Juan-Pablo dessine désormais, où qu'il soit, des "plans virtuels" des lieux pour identifier les issues de secours.
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Adieu à l'insouciance
De tous les témoignages de cette première journée de nouvelles auditions - environ 90 personnes doivent être entendues jusqu'au 12 mai, avant le début des plaidoiries - ressortent cette fois encore l'impossible vie d'après - entre crises d'angoisses, cauchemars et colères incontrôlables. Après trois heures d'allers-retours à évacuer les blessés, Christophe avait laissé derrière lui "(s)es terrasses" et "(s)on insouciance". Et gardé la culpabilité. Celles des "choix effroyables" qu'il a dû faire ce soir-là, dit-il aux proches des victimes décédées.
"J'ai fait tout ce que j'ai pu, j'ai dû laisser mourir des gens pour en sauver d'autres. À 26 ans, j'avais toutes ces vies qui dépendaient de moi", s'excuse celui qui s'est battu avec lui-même pour poursuivre son métier comme avant mais a fini par renoncer - il fait aujourd'hui de la formation. "Ils m'ont eu à l'usure". Parce que "la vie continue", Christophe veut finir par une bonne nouvelle - il sera "papa avant la fin de l'année". Il a voulu l'annoncer ici, "à tous", ajoute-t-il, "que vous soyez victimes ou non, que vous soyez dans le box des accusés ou non".