Durant son parcours au sein de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer s’était vu accoler le surnom de "boite à idées", pour sa propension à proposer des expérimentations innovantes. L’actuel ministre, dont le projet de loi "pour une école de la confiance" arrive lundi à l’Assemblée, entend faire infuser cet esprit d’innovation dans toutes les écoles de France. Parmi les mesures du projet de loi, l’une vise en effet à favoriser les "expérimentations pédagogiques". À quoi faut-il s’attendre ? Explications.
Ce que prévoit le projet de loi
Le texte, qui sera débattu toute la semaine à l’Assemblée, prévoit notamment que les écoles et établissements publics ou privés sous contrat pourront déroger au code de l'éducation pour des expérimentations qui visent aussi bien "l'organisation pédagogique" que "la coopération avec les partenaires du système éducatif", "les échanges avec des établissements étrangers d'enseignement scolaire" ou encore l'utilisation du numérique.
Concrètement, chaque enseignant sera ainsi encouragé à proposer à sa direction de nouvelles méthodes d’apprentissage, sortant du cadre des programmes communs, qui devront être ensuite validée par l’Académie. Ces nouvelles méthodes pourront faire intervenir de nouveaux outils, tels que des jeux, des appareils numériques ou des objets en tous genres, mais aussi des intervenants extérieurs, tels que des associations, des équipes pédagogiques étrangères ou des enseignants du secondaire, par exemple. Pour permettre à ces expérimentations de se déployer, le projet de loi prévoit aussi des aménagements dans "l’organisation des horaires d’enseignement".
Les expérimentations pourront durer jusqu’à cinq ans. Quant aux parents réticents, qui tiennent à ce que leurs enfants suivent un enseignement traditionnel, il faudra le leur permettre. "L'accès aisé à une école ou à un établissement ne pratiquant pas une telle expérimentation doit être garanti aux élèves dont les familles le désirent", dit le texte de loi.
À quoi cela pourrait ressembler ?
Sur le principe, toute idée nouvelle pourra être étudiée par les Académies. Mais pour se faire une première idée du type de méthodes qui seront expérimentées, les parents peuvent aller faire un tour sur le site de l’Expérithèque, la "bibliothèque des expérimentations pédagogiques" de l’Education nationale. Celle-ci recense des exemples d’expériences locales qui pourront être encourager au niveau national.
On y apprend par exemple qu’en 2014, une école privée du 18e arrondissement a mis en place une méthode où des élèves de CM1 participaient activement à la mise en place du cours. En lieu et place des devoirs à la maison, on leur demandait ainsi de réfléchir, en amont, à des activités à faire le lendemain en classe, en fonction de ce qui a été étudié la veille.
" Au premier rang des écueils à éviter se trouve la volonté de tout évaluer, plutôt que de se concentrer sur quelques indicateurs pertinents "
"Le matin, une fois le rituel d'accueil terminé, les enfants proposent le programme de la journée en lien avec ce qui a été fait précédemment; ils peuvent également émettre de nouveaux choix d'activités; cela peut aller de la méditation à la dictée, en passant par des défis mathématiques, de l'histoire ou des jeux d'écriture. Les sujets sont très variés, à l'image des profils d'intérêt des élèves; une fois le programme voté par le collectif, les enfants se répartissent en ateliers, en binôme, en grand groupe ou en travail individuel, en fonction des taches à réaliser", lit-on sur l’Expérithèque.
Dans une autre école, des concours de mémorisation ont été mis en place en début de cours. Dans une autre encore, on a appris la géométrie et les sciences avec des objets imprimés en 3D. Dans une autre encore, des élèves de CM2 ont rencontré des élèves et enseignants du collège pour s’y préparer. On peut, enfin, citer cette classe de CP de l’école Châteauneuf-sur-Loire (Loiret) qui a proposé en complément du programme habituel un ensemble d’activités concernant le cerveau : des cours sur son fonctionnement, des exercices de relaxation ou de méditation pour favoriser l’attention et l’apprentissage, des interventions de neuroscientifiques etc.
Comment savoir si ces nouvelles méthodes sont efficaces ?
Reste à savoir comment évaluer ces nouvelles méthodes. Pour l’heure, la plupart des expérimentations relayées par l’Expérithèque laissent entrevoir des résultats positifs. À Châteauneuf-sur-Loire, les chercheurs qui encadraient l’expérimentation ont constaté "une amélioration de l’ambiance de travail et du climat de classe, une augmentation des passages à l’écrit pour tous les élèves grâce à une meilleure confiance en soi et une amélioration de la verbalisation des actes quotidiens et des démarches d’apprentissage".
Mais comment être sûr que ces effets se ressentent sur le long terme, une fois la nouveauté passée ? Ces améliorations du comportement se traduiront-elles sur les notes ? Sont-elles généralisables à tous les publics ? Pour l’heure, il est impossible de le savoir. "Ce type d’évaluation n’est pas évident à mettre en place. Au premier rang des écueils à éviter se trouve la volonté de tout évaluer, plutôt que de se concentrer sur quelques indicateurs pertinents. Un autre excès consiste à restreindre les pratiques d’enseignement à ce qui est évaluable, alors même que l’innovation invite à élargir les perspectives", résument dans une tribune pour The Conversation trois spécialistes de l’innovation pédagogique.
Pour trancher ces questions, le projet de loi prévoit la création d'un nouveau conseil d'évaluation des établissements scolaires, qui mettrait fin de fait à l'activité de l'actuel Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco). Il devra mettre au point une liste de critères pour évaluer les établissements, basés sur les notes mais aussi le taux d’absentéisme ou le comportement des élèves. Problème : dix sur quatorze de ses membres seront choisis par le ministre lui-même. Les syndicats d’enseignants s’inquiètent, donc, de son manque d’indépendance et, donc, potentiellement d’objectivité et d’esprit critique.