Elles sont deux femmes radicalement opposées sur les conclusions à tirer du scandale Harvey Weinstein. Chacune a signé une tribune publiée dans la presse. Abnousse Shalmani, écrivain et journaliste, est l'une des auteurs du texte publié dans Le Monde intitulé "Des femmes libèrent une autre parole" (retitré par le quotidien national, ndlr). Caroline De Haas, militante féministe, est la co-auteure d'une tribune publiée en réponse : "Les porcs et leurs allié.e.s ont raison de s’inquiéter."
"Pour la parole, contre le retour moral". Le message porté par Abnousse Shalmani est que la liberté sexuelle serait menacée par une sorte de puritanisme. Notre tribune "n'est pas du tout pour annuler la parole qui existe", souligne-t-elle. "Nous sommes pour la parole mais contre le retour moral. Nous sommes toutes contre ces violences sexuelles et contre le viol qui est crime et contre le harcèlement qui est délit." Mais selon elle, le second effet de la libération de la parole dans les semaines passées a eu aussi ses excès. "Un mouvement a décidé comment on pouvait régler le problème de harcèlement et violences envers les femmes et les solutions proposées sont de l'ordre du puritanisme et de la morale et nous pensons que c'est un retour en arrière", insiste-t-elle.
"Pouvoir dire moins de choses qu'avant, une bonne nouvelle". Pour Caroline De Haas, en revanche, "à chaque fois que vous prenez la parole pour banaliser des violences (…), vous laissez plus de place aux agresseurs et moins de place aux victimes. Dans cette tribune, on retrouve toutes les idées reçues qu'on se coltine tous les jours." Elle ajoute : "le fait qu'on ne puisse 'plus rien dire" ou dire moins de choses qu'avant, pour moi, c'est une bonne nouvelle. Elle prend l'exemple de la remarque de l'animateur Tex : "Ce n'est pas une blague. C'est une remarque qui montre à quel point on méconnaît la réalité des violences."
"Un problème avec le domaine sexuel". Abnousse Shalmani réfute l'idée du mépris des victimes : "Et sur les frotteurs (qui sont évoqués dans la tribune du Monde), nous ne disons pas que ce n'est pas un délit mais on précise qu'on peut ne pas être traumatisée à jamais. On peut l'être, on peut ne pas l'être." La misère sexuelle des frotteurs est non pas acceptée mais comprise : "La misère sexuelle est une conséquence de la mauvaise éducation. Bien sûr, ajoute-t-elle, qu'il y a encore un problème avec le domaine sexuel. Mais garder la bannière de victime n'aide pas à l'autonomie des femmes. Le viol est un crime, le harcèlement un délit. Une drague maladroite s'arrête là où commence le harcèlement", récapitule-t-elle.
Le non "pas entendu". Et de préciser : "Quand on parle de la liberté de pouvoir importuner, c'est que si on me fait une proposition sexuelle et que je la refuse, si la personne devient insistante, on tombe dans le harcèlement donc dans le délit. Je considère que je suis une grande personne, capable d'entendre une proposition sexuelle et d'autant plus capable de dire non. Le problème est que ce non ne soit pas entendu. Je ne suis pas fragile, je suis forte, je veux qu'on me parle exactement de la même manière qu'à un homme, pas comme à une petite chose fragile."
L'éducation des garçons. Pour Caroline de Hass, le problème de cette tribune est qu'il est dit "d'apprendre aux petites filles à ne pas se laisser intimider" et qu'à aucun moment, "il est écrit 'On va apprendre à nos garçons à ne pas taper ou violer'." Les deux femmes se rejoignent néanmoins sur un principe : "Nous sommes fortes et fières" et ces violences doivent cesser.