"Je suis très heureux, même ému. Ça fait bientôt 50 ans que je me bats parce que je n'ai jamais accepté cette arrestation et cette condamnation", a réagi auprès de l'AFP Michel Chomarat, 75 ans, condamné après avoir été interpellé en mai 1977 à Paris, aux côtés de huit hommes, lors d'une incursion policière dans le bar gay "Le Manhattan".
L'Assemblée nationale examinait en première lecture ce texte porté initialement par le sénateur Hussein Bourgi (PS) et approuvé par la Haute assemblée en novembre. Pour Joël Deumier, coprésident de SOS Homophobie, il s'agit d'un "signal extrêmement fort envoyé par l'Assemblée nationale".
Une unanimité qui crée "une bonne surprise"
Les députés ont rétabli le principe d'une réparation financière pour les personnes condamnées pour homosexualité et la création d'une commission chargée de statuer sur les demandes de réparation financière, que le Sénat avait supprimées.
"Il ne peut pas y avoir de reconnaissance sans réparation", a ajouté Joël Deumier auprès de l'AFP. Le texte a fait l'objet d'un très large consensus, 331 députés l'ayant approuvé sur 331, même si certains groupes ont exprimé des réserves sur le principe d'une réparation financière.
>> À ECOUTER AUSSI - Brahim a été agressé : “On n'a pas le droit d'être homosexuel dans la cité”
Cette unanimité est "une bonne surprise", a commenté auprès de l'AFP Terrence Katchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie, qui estime que les députés "ont vraiment entendu" les messages portés par les associations.
"Le fait que la France demande pardon et indemnise lance un beau message à l'international", à l'heure où l'homosexualité reste réprimée, voire passible de mort dans de nombreux pays dans le monde, a-t-il ajouté.
"Pardon"
"Il est grand temps de (...) dire ce soir au nom de la République française : pardon, pardon aux personnes, aux homosexuels de France qui ont subi 40 années durant, cette répression totalement inique. Notre République n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle sait reconnaître qu'elle a perdu le fil de ses principes fondateurs, la liberté, l'égalité, la fraternité", a souligné le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti.
En ce qui concerne l'indemnisation financière, qui devrait être mise en œuvre par une commission établie ad hoc, Eric Dupond-Moretti a attiré l'attention sur le fait qu'elle serait confrontée à des "difficultés probatoires" : "il ne sera pour certaines personnes pas simple de prouver qu'elles ont effectivement passé un temps déterminé en prison ou qu'elles se sont acquittées de l'amende à laquelle elles avaient été condamnées", a-t-il prévenu.
Le rapporteur du texte, le député PS Hervé Saulignac, a lui estimé que la reconnaissance ne pouvait aller sans la réparation.
"Je pense que la France est capable de faire ce que l'Allemagne a fait, ce que le Royaume-Uni a fait, ce que l'Irlande a fait, ce que l'Espagne a fait, ce que le Canada a fait", a-t-il plaidé, estimant que le nombre de personnes éligibles à une réparation pourrait se situer entre 200, comme en Espagne, et 400, comme en Allemagne.
Des dizaines de milliers de condamnés
La proposition de loi, qui va désormais reprendre son parcours législatif au Sénat, reconnait la discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles entre 1942 et 1982, basée sur deux articles du code pénal, l'un établissant un âge spécifique de consentement pour les relations homosexuelles et l'autre aggravant la répression de l'outrage public à la pudeur commis par deux personnes de même sexe.
Toutefois, les juges à l'époque ont utilisé un arsenal pénal bien plus large et toutes sortes d'articles pour réprimer l'homosexualité, rappelle Antoine Idier, sociologue et historien. Difficile dans ces conditions de savoir précisément combien de personnes ont été condamnées pour homosexualité en France.
Environ 10.000 condamnations ont été prononcées en vertu de l'article qui établissait un âge de consentement spécifique et environ 50.000 pour le motif d'outrage public à la pudeur homosexuelle, selon Régis Schlagdenhauffen, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste du sujet.
Beaucoup de personnes concernées sont déjà décédées et d'autres âgées, ce qui fait qu'elles seraient peu nombreuses à demander la réparation financière.