"Plus c'est gros, plus ça passe." Qu'est-ce qui se cache derrière cet adage populaire ? C'est ce qu'a voulu comprendre Patrick Clervoy, médecin psychiatre et professeur agrégé à l'hôpital du Val-de-Grâce. Dans Vérité ou Mensonge (Ed. Odile Jacob), le spécialiste déconstruit les mécanismes psychologiques qui organisent l'emprise du mensonge sur une population, et ce, parfois, pendant très longtemps. "À plusieurs reprises, je montre que des gens ont préféré laisser le menteur continuer à mentir parce qu'ils préféraient que ce fut ainsi", explique-t-il au micro de Patrick Cohen sur Europe 1.
La fauvette qui couvait le coucou comme si c'était le sien
Pour illustrer l'idée qui sous-tend son livre, Patrick Clervoy prend d'abord l'exemple de la fauvette, "un petit oiseau dont le nid est le lieu privilégié dans lequel le coucou, un autre oiseau, va déposer son œuf". Or, pour mettre le sien à la place, le coucou commence par ôter l'un des œufs de la fauvette.
L'œuf du coucou "n'a pas la forme ni la couleur de l'œuf de la fauvette", poursuit le psychiatre. "Mais peu importe, la fauvette va continuer à s'occuper de cet œuf comme si c'était le sien. Et puis, étape suivante : une fois le petit coucou né, il va virer les autres œufs ou les autres oisillons de façon à être le seul occupant de ce nid. Et la fauvette, dans une espèce d'aveuglement, va continuer à élever ce coucou comme si c'était son petit."
Cet oiseau qui "refuse la réalité selon laquelle ce n'est ni son œuf, ni son petit qu'il nourrit", est à l'image des êtres humains qui, "face à certains menteurs, préfèrent ne pas voir que ce sont des menteurs", selon Patrick Clervoy. "Ils vont faire comme si c'était la vérité, lutter contre ceux qui voudraient rétablir la vérité et il va arriver, à la fin, un moment où il sera beaucoup plus difficile de faire tomber le mensonge et de faire advenir la vérité."
Les sous-marins qui remontaient la Loire
Car lorsque cet "effet fauvette" s'étend à une population plus large, le mensonge peut se diffuser très rapidement, explique le psychiatre. Cela a par exemple été le cas dans l'affaire de la "rumeur d'Orléans", à la fin des années 1960, lorsqu'il se racontait partout dans la ville que des jeunes femmes étaient enlevées dans les arrière-boutiques des magasins de vêtements.
"Ce qui est fascinant, c'est qu'à un moment, on dit qu'il y a des sous-marins qui remontent la Loire pour amener ces femmes vers les pays arabes." Une énormité qui ne suffit pas à mettre fin à la rumeur. Comme la fauvette qui couve le petit du coucou, "les gens vont y croire".
" Une seule personne qui veut faire advenir la vérité a toutes les peines du monde à essayer de la faire valoir "
Selon Patrick Clervoy, le même mécanisme s'est appliqué au fil des années dans tous les domaines, du sport - "avec Lance Armstrong", cycliste parvenu à cacher son dopage pendant des années - aux études scientifiques, "avec le scandale de Yale", où de riches familles ont payé pour faire falsifier les tests d'entrée de leurs enfants. Dans toutes ces situations, "une personne seule, qui veut faire advenir la vérité, a toutes les peines du monde à essayer de la faire valoir", car elle est devenue minoritaire, selon le psychiatre.
Donald Trump et le certificat de naissance de Barack Obama
À cet égard, l'exemple le plus flagrant selon le spécialiste est celui du début de la carrière politique de Donald Trump aux Etats-Unis. En 2011, alors que le milliardaire envisage de se présenter aux présidentielles de 2012 - il ne le fera finalement que quatre ans plus tard -, il lance une rumeur. "Il dit : 'Des sources bien informées m'indiquent que le certificat de naissance de Barack Obama est faux'. C'est tout. C'est un tweet", retrace Patrick Clervoy.
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Mais ce tweet a l'effet "d'une graine pour faire pousser un énorme mensonge". "Avec l'aide des complotistes américains, ça va pousser", jusqu'à devenir le socle commun de l'électorat Donald Trump, devenu effigie d'une frange de la population anti-Obama... et futur président des Etats-Unis. Même si cela s'est fait au prix d'une contre-vérité.
Se méfier des slogans et des formules brèves
Alors, comment se préserver de ces inquiétantes mécaniques collectives ? En réfléchissant, recommande simplement Patrick Clervoy. De manière générale, "le slogan, la formule brève, est toujours loin de la vérité", souligne-t-il. "La vérité est complexe, elle est difficile à trouver, elle est difficile à dire. Alors quand quelqu'un vous affirme quelque chose sous la forme d'un slogan, méfiez vous ! C'est là, le plus souvent, qu'on essaye de vous tromper."
Car souvent, quand "au dernier moment, le menteur ne peut plus tenir" et que le château de cartes s'effondre, "on s'aperçoit qu'on aurait pu désamorcer ça des mois ou des années plus tôt", se désole le psychiatre. "Ce que j'essaie de montrer, c'est qu'au plus tôt on aide quelqu'un à sortir de son mensonge, au mieux on va améliorer la situation pour tout le monde."