C'était l'une des revendications des policiers qui ont manifesté cet automne, pour crier leur "colère" après l'agression de quatre de leurs collègues : une modification des règles de la légitime défense est au coeur d'un projet de loi examiné mercredi en Conseil des ministres. Les gendarmes, de statut militaire, disposent actuellement d'une plus grande marge de manoeuvre que les policiers, qui sont des civils en la matière aux yeux de la justice. Le texte vise à définir un "projet commun" de l'usage des armes à feu aux deux forces de l'ordre - la police et la gendarmerie -, alignant la première sur la seconde.
Un texte élaboré sous pression. La doléance ne date pas d'hier. Depuis plusieurs années, les syndicats de police réclament une révision de la doctrine d'emploi des armes, allant jusqu'à demander une "présomption de légitime défense" - une situation dans laquelle ce ne serait plus au policier de prouver qu'il se trouvait en situation de légitime défense, mais à la victime potentielle de démontrer qu'il ne l'était pas. Au début du mouvement de grogne des policiers de la "base", le gouvernement semblait déterminé à ne pas céder sur ce sujet. Reçus par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, le 19 octobre, les syndicats de gardiens de la paix n'avaient pas obtenu de "réponse" sur la légitime défense.
Une semaine plus tard, alors que le mouvement gagnait un nombre croissant de villes, les policiers exprimant leur "peur" face à la multiplication des agressions les visant, le ministre a pourtant reculé. "Les conditions d'évolution de la légitime défense vont être étudiées pour protéger au maximum les forces de l'ordre, dans un cadre juridique scrupuleusement conforme à l'État de droit", affirmait Bernard Cazeneuve le 26 octobre, lors de la présentation de son "plan d'urgence" pour la profession.
Une harmonie entre les deux forces. Mais dans le texte présenté mercredi par Bruno Le Roux, nouveau ministre de l'Intérieur, il n'est pas question de "présomption de légitime défense", plutôt d'harmonisation des doctrines d'emploi des armes. Actuellement, la légitime défense est définie par l'article 122-5 du Code pénal et encadrée par les principes de nécessité, de proportionnalité et de simultanéité de la riposte, pour tout citoyen comme pour les policiers. A noter que depuis la loi du 3 juin 2016, les gardiens de la paix et les militaires sont déjà autorisés à utiliser leurs armes en cas d'attaque de masse, comme celles de Charlie Hebdo ou du 13-Novembre.
La doctrine qui s'applique aux gendarmes est, elle, définie par l'article L2338-3 du Code de la Défense, et relègue les principes de proportionnalité et de simultanéité au second plan : les militaires peuvent ainsi faire feu lorsqu'ils sont agressés ou menacés par des individus armés, pour "défendre" une zone qu'ils occupent, si des sommations répétées restent sans effet, ou pour immobiliser des véhicules.
"Mais dans les faits, les gendarmes ne sont pas en situation de pouvoir mettre en oeuvre la plénitude de ces droits", explique à Europe1.fr Pascal Popelin, député PS, spécialiste des questions de sécurité. Le texte, daté de 1903, se heurte en effet aux engagements conventionnels internationaux de la France. "La jurisprudence, au contraire, est favorable aux policiers, très rarement condamnés malgré leur absence de doctrine dédiée", poursuit l'élu. Le nouveau texte prévoit donc que policiers et gendarmes puissent désormais "utiliser leur arme après sommations", pour arrêter une personne récalcitrante dont ils ont la garde, ou un chauffard fonçant sur eux. Il envisage néanmoins un arsenal de "mesures de proportionnalité" comme garde-fous. Objectif : créer une harmonie entre les deux forces, en se calant sur la jurisprudence.
Anonymat des enquêteurs. Le projet de loi, qui doit être présenté au Parlement dès janvier 2017 dans le cadre d'une procédure accélérée, prévoit également un élargissement des conditions d'identification par le seul numéro de matricule dans les procédures pénales. En clair, ils pourront ne plus signer les procédures de leur nom. Il s'agit de préserver l'anonymat des enquêteurs, une autre revendication des syndicats policiers et des manifestants. En outre, le texte permettra de faire passer les peines pour outrage à agent dépositaire de l'autorité publique de six mois à un an de prison et de 7.500 à 15.000 euros d'amende. Ces peines seront même portées à deux ans et 30.000 euros d'amende dès lors que les faits sont commis en réunion. Elles seront ainsi alignées sur celles qui sont encourues en cas d'outrage à magistrat.