DÉBAT - Prostitution : faut-il revenir sur la pénalisation des clients ?

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L'entrée en vigueur de la loi de 2016 a abouti à une baisse du nombre de clients, selon les opposants à la pénalisation. © THOMAS SAMSON / AFP
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Thibaud Le Meneec
Saisi par neuf requérants, le Conseil constitutionnel doit se prononcer le 1er février sur la loi pénalisant les clients des prostituées, promulguée en avril 2016.
LE TOUR DE LA QUESTION

Entrée en vigueur en avril 2016, la loi pénalisant les clients de prostituées a débouché sur 3.000 amendes. Un bon début, répondent le mouvement du Nid et certaines travailleuses du sexe, quand d'autres prostituées et plusieurs requérants perçoivent des "conséquences catastrophiques" à cette disposition, contre laquelle ils ont déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel. Celui-ci rendra sa décision le 1er février. Europe 1 fait le point sur les arguments que les deux camps ont présentés aux Sages lors de l'audience, mardi, et sur le plateau du Tour de la question avec Wendy Bouchard sur Europe 1.

Ceux qui sont pour

La loi aurait rendu vulnérables certaines prostituées. "Il y a deux types de prostituées", selon Patrice Spinosi, juriste et avocat des opposants. "Celles qui sont capables de pouvoir exprimer leur consentement et qui revendiquent le droit d'exercer leur activité, et celles qui sont contraintes par les réseaux et les proxénètes. La loi a été créée avec comme finalité uniquement la protection de ces prostituées-là". Mais, estime-t-il, l'objectif d'assécher les réseaux a conduit à "fragiliser" les plus démunies, car "les hommes ne voulant plus être vus, ils s'isolent dans des lieux dangereux pour ces femmes".

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici

Anaïs, travailleuse du sexe et adhérente du Strass (le Syndicat du Travail Sexuel), évoque de son côté des prostituées "tabassées". "On se retrouve la cible de personnes qui savent qu'on est obligées de s'isoler et qui en profitent pour se faire passer pour des clients alors qu'il ne sont que des braqueurs", raconte-t-elle.

Une baisse des clients a été constatée. Anaïs a constaté une "chute notoire" du nombre de clients depuis avril 2016 : "On a eu l'obligation d'accepter des gens qu'avant on n'acceptait pas parce qu'on avait plus le choix." Elle évoque des gens autour d'elle qui "étaient autonomes avant la loi et qui doivent maintenant travailler dans des salons" ou avec "des intermédiaires".

Elle empêcherait les travailleuses du sexe "libres" d'exercer correctement cette activité. Le texte d'avril 2016 qui prévoit la pénalisation des clients est-il adapté à toutes les travailleuses du sexe ? Non, répond Anaïs : "Une loi unique pour l'exercice du travail sexuel n'a aucun sens, puisque le panel de l'exercice du travail sexuel est extrêmement diversifié." Elle cite son propre exemple, parlant d'exercer comme une "décision réfléchie" guidée certes par une "nécessité économique" mais pratiquée en toute liberté.

D'autres voient dans la défense de cette disposition une vision abolitionniste du métier pas forcément adéquate. Pour Sarah-Marie Mafessoli, coordinatrice chez Médecins du monde, une des associations à l'origine de la question prioritaire de constitutionnalité, un amalgame a été fait entre prostitution et traite des êtres humains. Elle estime que le Code pénal est actuellement suffisant pour lutter contre l'exploitation des personnes. "Il n'était pas nécessaire de céder à l'inflation législative et d'inventer une nouvelle infraction. Mais est-ce que l'enjeu est véritablement de lutter contre l'exploitation des personnes ou de lutter contre la prostitution ?", s'interroge-t-elle.

Ceux qui sont contre

La pénalisation protégerait mieux les prostituées. "La loi est faite pour protéger le plus grand nombre de victimes", affirme Rosen Hischer, ancienne prostituée et porte-parole du "Mouvement des survivantes", qui dit être "tombée dans la prostitution" pendant 22 ans. Victime de violences par le passé, elle affirme qu'elle "aurait été protégée si la loi avait existé" à l'époque, "et beaucoup des Survivantes disent la même chose". "Quand vous interdisez l'achat d'un acte sexuel, vous mettez fin à une forme de violence sexuelle" qui a engendré, selon lui, des viols plus présents chez les prostituées que dans le reste de la population.

La précarisation de cette activité ne serait pas nouvelle. "Le fait qu'il y aurait moins de clients, avec des pouvoirs de négociation plus difficiles, qu'il ne resterait que les pires clients, je l'entends personnellement depuis quinze ans", balaie Grégoire Théry, porte-parole du Mouvement du Nid, association féministe et abolitionniste, qui liste les baisses de clients déplorées par les travailleuses du sexe depuis le début des années 2000 : l'arrivée en France de prostituées nigérianes, la crise économique de 2008 ou la concurrence d'Internet. "Il y a une instrumentalisation d'une détresse réelle des personnes prostituées", dénonce-t-il.

La loi a permis de reconnaître la "violence" qu'est la prostitution. "Ce qui est demandé au Conseil constitutionnel par les parties requérantes, c'est de consacrer un acte constitutionnel, celui d'imposer un acte sexuel par l'argent", critique Grégoire Théry. Il dénonce l'argument moral avancé par les opposants à la pénalisation : "Ce qu'ils appellent morale, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les violences sexuelles", fustigeant au passage une "vision ultra-libérale" de cette activité.