Fichage des mineurs isolés : "Un dévoiement de la protection de l’enfance à des fins de contrôle migratoire"
Interrogé par Europe 1, Corentin Bailleul, chargé du plaidoyer à l'Unicef, explique pourquoi une vingtaine d'associations et d’organisations demandent au Conseil constitutionnel de censurer l'un des articles de la loi "asile et immigration", jugé contraire aux droits fondamentaux de la protection de l'enfance.
Le Conseil constitutionnel rend vendredi sa décision concernant le fichage biométrique des mineurs isolés . Vingt-deux organisations demandent aux Sages d’adopter une position claire sur l’article 51 de la loi "asile et immigration", qu’elles dénoncent comme une mesure dissimulée de contrôle migratoire, quand il s’agit en théorie de fluidifier les démarches administratives concernant l’évaluation de l’âge des jeunes sans tuteur légal, et qui prétendent avoir moins de 18 ans.
"Pour nous, ce fichage est manifestement une mauvaise solution, contraire à un certain nombre de droits fondamentaux", estime ainsi au micro de Pierre de Vilno, sur Europe 1, Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer à l'Unicef France. "Les mineurs non-accompagnés sont des adolescents de moins de 18 ans qui se trouvent seuls, sans représentant légal, sans parent, sur le territoire français. Leur isolement comporte une présomption de danger, c’est pour ça qu’ils doivent être protégés au titre de l’enfance en danger et bénéficier de mesures de protection de l’enfance", explique-t-il. Or, selon lui "ce fichage va venir compromettre l'effectivité de ce droit à la protection pour les mineurs isolés."
Un dispositif visant à faciliter les procédures administratives
"Ce qui inquiète, c’est la double finalité du fichage annoncée par le gouvernement : d’une part de protection de l’enfance et d’autre part de lutte contre l’immigration irrégulière", poursuit Corentin Bailleul. "Ces deux finalités nous semblent inconciliables. C’est un dévoiement de la protection de l’enfance à des fins de contrôle migratoire", dénonce ce lobbyiste.
La nouvelle loi prévoit en effet que "les empreintes digitales, ainsi qu'une photographie des ressortissants étrangers se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, puissent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé ". Il s’agit notamment d’éviter que les jeunes gens n’ayant pas vu leur statut de mineur reconnu par une préfecture ne se tournent vers un autre département et n’engorgent ainsi les services administratifs.
La reconnaissance de la minorité menacée par l'accélération des expulsions
"Il existe une pratique qui consiste pour des personnes majeures à se faire passer pour des mineurs pour bénéficier des mesures de la protection de l’enfance", reconnaît Corentin Bailleul. Mais "elle n’est pas aussi importante qu’on nous le laisse penser, puisqu’il y a environ 50% de jeunes dont on refuse la prise en charge parce que l’on conteste leur minorité".
Or, même si ces jeunes ont toujours la possibilité de se tourner vers un juge des enfants pour se faire reconnaître comme mineurs, le dispositif actuel prévoit de transférer les données personnelles des refus de prise en charge "vers un autre fichier visant à faciliter leur expulsion du territoire", relève Corentin Bailleul. Ce dispositif menacerait ainsi d’expulsion des personnes qui peuvent encore se voire reconnaître comme étant mineurs, et qui en théorie pourraient bénéficier d’une prise en charge spécifique, prévue par la loi.
Espérant une censure du Conseil constitutionnels, les associatifs entendent également poser un ensemble de propositions pour "changer de paradigme et passer de la suspicion à la protection, pour faire en sorte que les mineurs en danger qui se présentent dans les départements soient d’abord accueillis en tant qu’enfants avant d’être accueillis comme des étrangers", conclut Corentin Bailleul.