"Dimanche soir, j'ai ressenti beaucoup d'inquiétudes pour la construction de ma famille". Cindy est maman d'un petit garçon d'un mois. Et elle souhaiterait que son épouse, avec qui elle vit depuis quatre ans, puisse l'adopter avant la présidentielle. Comme elle, beaucoup de familles homoparentales ont en effet exprimé leur inquiétude autour du projet et des idées défendues par François Fillon, désormais candidat officiel de la droite et du centre à la présidentielle.
Dans l’entre-deux tours, les Twittos s’en étaient donnés à cœur joie autour du hashtag "#FillonPrésidentCeSerait". Le principe ? Imaginer la France dirigée par le député de Paris. Parmi les principaux internautes actifs autour de ce mot clé, les défenseurs des droits LGBT (lesbiennes, gay, bi et trans) se montraient particulièrement actifs. "#FillonPresidentceserait un homophobe à la tête de l'Etat. Sans oublier qu'il a voté contre la dépénalisation de l'homosexualité en 1982", tweete ainsi "Team anti-homophobie". "#FillonPresidentceserait un pays de nouveau fracturé sur la question du mariage pour tous", renchérit "Pouk’s". "Christian 666" rappelle, lui, les précédentes positions du député autour du même hashtag : "1981: contre la dépénalisation de l'homosexualité. 1999 : contre le PACS. 2013 : contre le mariage pour tous".
" La vision d’une France dépassée, dogmatique, influencée "
Et la méfiance envers le nouveau champion de la droite ne semble pas s’être tarie lundi. Dans une tribune à l’Obs, Brigitte Goldberg, présidente de Tans-Europe, a dénoncé un programme qui "ferait reculer le droit des personnes au nom d'une morale inspirée par des valeurs religieuses". Selon elle, l’élection de François Fillon à la primaire est un signe de plus que "la pilule du mariage pour tous ne passe pas et (cela) se traduit par une montée latente des relents homophobes". Le candidat de la droite "vient de se mettre en rupture avec tous ceux pour qui la démocratie ne peut être synonyme que de liberté et de tolérance", martèle-t-elle encore.
L'Inter-LGBT, qui regroupe des associations lesbiennes, gays, bi et trans, avait aussi fait part dès mardi dernier de ses "inquiétudes" et de sa "vigilance" quant aux programmes des deux finalistes de la primaire, et notamment autour du projet de François Fillon, qui propose de "réécrire" la loi Taubira, de durcir les sanctions contre la GPA et de maintenir l’interdiction de la PMA pour les couples de femmes. "Soutenir des revendications LGBTphobes ne fera qu'exacerber des tensions alors que l'ensemble de la société est largement en faveur des familles homoparentales", prévenait l'association la semaine dernière dans un communiqué. De son côté, GayLib, mouvement LGBT de centre-droit associé à l'UDI avait attaqué "la vision de François Fillon d’une France dépassée, dogmatique, influencée, et clairement hostile aux personnes LGBT".
Certains, même, avait part de leur ambition de voter Alain Juppé au second tour de la primaire. "Mon épouse et moi-même irons uniquement pour lui faire barrage", témoignait ainsi dans Le Monde Sophie, mère d’un garçon conçu par procréation médicalement assistée (PMA) à l’étranger. "Nous sommes inquiètes et voterons Juppé, [Fillon] va rouvrir la boîte de Pandore ! Alors que l’atmosphère s’est apaisée et que chacun vit sa vie !", poursuivait Elsa, la semaine dernière dans le quotidien du soir. "Nous étions à peu près tranquilles sur la question du mariage pour tous/ La crainte, c'est que la victoire de Fillon ranime ces manifestations et ces sentiments homophobes, qui étaient pourtant retombés", renchérissait Pierre, mardi dernier sur le site de France TV.
" La filiation au sens biologique ne doit plus pouvoir être effacée "
Mais pourquoi l'ancien Premier ministre suscite-t-il autant d’inquiétudes ? Réputé conservateur sur les questions sociétales, François Fillon, catholique revendiqué, s’est opposé par le passé aux différentes lois ouvrant plus de droits aux homosexuels. Il a obtenu le ralliement derrière sa candidature de Sens commun, mouvement politique créé au lendemain de la "Manif pour tous, farouchement opposé à la loi Taubira dans son ensemble et à qui François Fillon aurait fait "allégeance", dixit Brigitte Goldberg. Frigide Barjot, ancienne égérie des anti-mariages homosexuels, s’est aussi personnellement engagée pour la campagne du député de Paris et a été aperçue au QG de campagne du candidat dimanche soir.
C’est sa proposition de "réécrire" la loi Taubira qui a suscité le plus d’hostilité. En quoi consiste-t-elle ? "Je sais que des couples homosexuels accueillent des enfants avec amour. Mais il ne me paraît pas légitime que la loi permette de considérer qu’un enfant est fils ou fille, de manière exclusive, de deux parents du même sexe", peut-on lire sur le programme du candidat. "Sa filiation au sens biologique du terme, à l’égard d’un père et d’une mère, ne doit donc plus pouvoir être effacée par une adoption plénière", indique encore le programme.
En clair, si le vainqueur de la primaire est élu à la tête de l’Etat en mai 2017, un couple homosexuel ne pourra plus adopter que sous le régime de l’adoption simple. Une adoption plénière est prononcée par le tribunal de grande instance. Un nouvel acte de naissance est rédigé et celui-ci annule l’éventuel acte de naissance précédent, ce qui a pour effet de rompre les liens de l'adopté avec sa famille d'origine. Avec l’adoption simple, le lien juridique avec les parents biologiques est maintenu. Au-delà de la différence symbolique que cela va créer entre les enfants d’homosexuels et les enfants d’hétérosexuels, cela risque aussi de priver les premiers d’un certain nombre de droits. L’adoption plénière est en effet irrévocable, contrairement à la simple. Elle donne automatiquement le droit à la nationalité, ce que ne fait pas l’adoption simple. Enfin, l’adoption plénière donne droit à un abattement fiscal lors des successions, ce que ne fait pas l’adoption simple.
" François Fillon veut imposer à la société deux catégories d'enfants "
"Il y aura quasiment les mêmes droits", avait défendu François Fillon, fin octobre sur France 2. "La question c'est le droit de l'enfant. L'enfant, il est en droit d'avoir une mère et un père et de les connaître. Bien sûr que les enfants peuvent être aussi heureux au sein d'un couple homosexuel. Mais reconnaissez avec moi qu'un enfant est biologiquement né d'un père et d'une mère. Il en a l'héritage génétique et il a le droit de le connaître. Aucun amour ne pourra l'effacer", avait-il argumenté sur le plateau de l’Emission politique, devant une mère homosexuelle qui l'interpellait. Et d’enchaîner : "Je pense que cette société doit préciser ses règles de filiation. La modernité n'a rien à voir avec les règles, avec la vie, avec les droits de l'enfant".
Mais son argumentaire était loin de rassurer les parents et futurs parents homosexuels. Cindy, qui souhaite adopter avant la présidentielle, a peur de cette instabilité juridique qu'entraînerait l'adoption simple. "Nous ne voulons pas prendre de risque. Dimanche soir, j'ai ressenti beaucoup d'inquiétudes pour la construction de ma famille. Pour moi, cette proposition est une façon détournée d'abroger la loi Taubira. Je n'ai pas envie que l'adoption ne mon enfant soit révocable. Je ne veux pas qu'il y ait un risque qu'il soit privé de sa mère sociale, sa deuxième mère, qui lui aura donné tout son amour et son éducation", témoigne-t-elle pour Europe 1.
"L’adoption simple, de par son caractère révocable, met l’enfant dans une insécurité qui n’est pas dans son intérêt. Cet enfant, principal intéressé du débat, est la malheureuse victime des outrances de François Fillon", dénonce ainsi l’AGPL, l’association des parents et futurs parent gay et lesbien. "Au nom de ses valeurs chrétiennes revendiquées, François Fillon, par ailleurs opposant à l'ouverture de la PMA pour toutes et à la GPA, veut imposer à la société française qu'il juge non-multiculturelle, deux catégories de parents et donc de familles", renchérit l’association.
"Je ne sais pas comment je vais pouvoir expliquer à une de mes filles qu'elle n'a pas le même statut que sa soeur aînée", s'inquiète Marie, mère biologique d'une petite fille adoptée par son épouse, Nelly, interrogée par France 3. Citée par Le Monde, l’avocate Caroline Mécary, spécialisée dans la défense des familles homoparentales, relaye aussi les inquiétudes des couples en attente d’une adoption plénière. "Je reçois des appels de clientes inquiètes. Certaines craignent que François Fillon revienne sur les adoptions déjà prononcées. D’autres veulent lancer une procédure en urgence pour aboutir avant mai 2017", racontait-elle vendredi, soulignant, également, le risque d’anti-constitutionnalité de la mesure, qui créé selon elle "une discrimination entre les enfants en fonction de l’orientation sexuelle des parents".
L’affaire des affiches qui "choquent". D'autres se sont émus des propos de l’équipe Fillon aux maires qui ont décidé d’interdire les dernières affiches gouvernementales de prévention des risques du Sida. Celles-ci montraient des couples homosexuels en position très rapprochées, avec des slogans comme : "Aimer, s'éclater, s'oublier. Les situations varient. Les modes de protection aussi". "Ce n'est pas neutre. Il y a un message en plus du message (...) Je voudrais savoir pourquoi on a choisi cette campagne-là. Elle est très suggestive", avait taclé la semaine dernière Isabelle Le Callennec, députée LR et soutien de François Fillon, en marge d’un point de presse au QG du nouveau champion de la droite. "Il y a un message électoral en direction d'une communauté (...) les socialistes sont prêts à tout", avait-elle renchéri, affirmant avoir reçu "des appels de parents, de familles, qui sont choqués". Interrogé sur Europe 1, François Fillon avait, pour sa part, simplement indiqué "comprendre que des maires puissent être choqués", estimant que la campagne n’était pas "d’une grande habileté".
Mais plusieurs observateurs avaient perçu ce message comme un soutien aux maires récalcitrants. "Votre comportement, au regard de ces deux critères, est non seulement contre-productif mais aussi criminel", avait ainsi dénoncé l’écrivain homosexuel Arthus Dreyfus, dans une tribune à Libération adressée à François Fillon. Et de conclure : "Savez-vous que le taux de suicides chez les jeunes gays et lesbiennes demeure quatre fois supérieur à celui du reste de la population ? [...] A votre avis, pourquoi un jeune gay se suicide-t-il ? Parce que l’homosexualité lui semble bien acceptée autour de lui ? […] Non : parce que ses parents, ses proches, le rejettent. Parce qu’il a le sentiment que la société ne veut pas de lui".