La France doit-elle reconnaître la filiation entre les enfants issus de GPA et leurs parents, tout en interdisant la GPA sur son territoire ? C'est à cette question que la Cour de cassation doit répondre vendredi. Plus précisément, elle doit se prononcer sur la transcription dans l'état civil français des actes de naissance de ces enfants nés à l'étranger. La gestation pour autrui, qui est interdite en France, bénéficie à des Français qui se rendent dans les pays où elle est autorisée. Actuellement, 2.000 enfants issus de GPA vivent dans l'Hexagone. Une décision positive de la Cour de cassation pourrait lever les derniers obstacles qu'ils rencontrent dans leur quotidien.
Le cas de deux enfants nés en Russie. La Cour de cassation va plus précisément se prononcer sur deux dossiers concernant deux pères de famille français. Le premier pourvoi concerne le refus par la Cour d'appel de Rennes, en avril 2014, d'inscrire un enfant né par GPA en Russie sur l'état civil. Le deuxième recours, initié par le parquet général, porte à l'inverse sur la décision d'un tribunal, en décembre, d'inscrire un autre enfant, né aussi en Russie, sur le registre.
La filiation, au cœur de la décision. L'enjeu de la décision de la Cour de cassation porte en fait sur la filiation. Si, actuellement, la France reconnaît ses enfants comme français, elle ne reconnaît toujours pas officiellement les liens qui les unissent avec leurs parents, ni avec celui dit "biologique", ni avec celui dit "social" ou "d'intention", que ce soit la mère dans un couple hétérosexuel ou le deuxième père dans un couple homosexuel.
La France, en porte-à-faux avec l'Europe. Mais pourquoi la Cour de cassation se prononce de nouveau sur la GPA, dossier qu'elle a déjà examiné ? En 2013, en effet, elle avait tranché en déclarant que, la GPA étant illégale en France, tous les actes qui en découlaient étaient par conséquent considérés comme nuls, y compris les actes de naissance fait légalement à l'étranger.
Mais depuis, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée sur le sujet dans un arrêt rendu en juin 2014. Invoquant "l'intérêt supérieur de l'enfant", elle demande à la France de reconnaître l'identité des enfants issus de GPA. La décision européenne est supérieur au droit national et devait s'appliquer de suite. En théorie. Car en pratique, l'administration est rétive à reconnaître les enfants issus de GPA et la justice prend des décisions parfois différentes d'un tribunal à l'autre. D'où les pourvois portés en cassation.
Vers une transcription des actes de naissance ? Que pourrait décider la Cour de Cassation ? Même s'il ne présage de rien, un avis énoncé le 19 mai dernier par le procureur général Jean-Claude Marin se prononce en faveur d'une transcription dans l'état civil français des actes de naissance étrangers. Mais à une condition : qu'un test ADN vienne prouver l'existence d'un lien biologique entre l'enfant et la personne qui a donné ses gamètes dans le cadre de la GPA. Il a rejeté la transcription automatique des actes de naissance car cela "reviendrait à une reconnaissance automatique de la gestation pour autrui".
Mais imposer des tests ADN pourrait se heurter au reste du droit français où le lien biologique ne fonde pas toujours la parenté. Le père d'un enfant né par PMA avec les gamètes d'un donneur anonyme est par exemple reconnu automatiquement comme père par l'état civil, alors qu'il n'a aucun lien biologique avec sa progéniture. Sans parler des enfants nés sous X et dont la filiation est reconnue avec leurs parents adoptifs, sans liens biologiques là encore.
Concrètement, cela changerait quoi ? Les enfants issus de GPA peuvent aujourd'hui bénéficier de la nationalité française, depuis la circulaire Taubira publiée en 2014. Mais sans filiation, certains actes de la vie quotidienne peuvent se révéler difficiles. Si leurs actes de naissance sont retranscrits dans les registres français, ces familles pourront accéder au livret de famille. Demander un passeport, une carte d'identité ou encore s'inscrire à la Sécurité sociale serait alors plus facile. Pour Doan Luu, porte-parole de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens, "le livret de famille reste obligatoire en France et même si on peut s'en passer, il est demandé lors de l'inscription à l'école ou à la cantine". Il rappelle que ces enfants, "nés de Français", ont "droit à des papiers comme les autres". C'est pour cette raison que l'association veut une transcription complète des actes de naissance étrangers et pas seulement l'inscription du père biologique.
Un juriste, proche du dossier, minimise cependant la portée de la transcription de ces actes de naissance : "ce serait une solution à minima, surtout si le deuxième parent n'apparaît pas sur l'acte". "De plus, des résistances peuvent continuer à apparaître en France comme on le voit localement quand des tribunaux refusent l'adoption dans le cadre de PMA", estime ce spécialiste qui souhaite rester anonyme. Selon lui, plus la Cour de cassation sera précise dans sa décision et moins elle laissera la porte ouverte aux interprétations.