Il y a ceux que l'on déloge de leur tente, ceux à qui on flanque un coup au passage et ceux parfois "passés à tabac" : les migrants sans-abri en Ile-de-France sont victimes de violences policières "systémiques" et "massivement sous-estimées", accuse un rapport associatif. Le document diffusé jeudi par un collectif d'organisations et de lanceurs d'alerte, le premier consacré à ce sujet, est publié trois ans jour pour jour après l'évacuation brutale le 23 novembre 2020 par les forces de l'ordre d'un campement d'exilés installé place de la République, à Paris.
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Des images choquantes
L'épisode, devenu emblématique de ces violences selon le "Collectif Accès au droit", avait indigné jusqu'au sein du gouvernement, dont le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui avait jugé les images "choquantes".
"En dehors de cette séquence d'indignation unanime, ces violences perdurent dans le plus grand silence et se poursuivent sous différentes formes : harcèlement, évictions de lieux de vie, destructions de biens, violences verbales et physiques", égrènent les auteurs, qui soulignent la "dimension systémique" de ces actes à Paris et sa périphérie depuis que les situations de campements ont émergé sur fond de crise migratoire. Entre 2015 et 2023, le collectif a "comptabilisé et documenté 450 témoignages de violences policières commises envers les personnes exilées".
Matraque et gaz lacrymogène
"C'est juste la partie émergée de l'iceberg, c'est massivement sous-estimé", en raison de la difficulté pour ces personnes précaires de se tourner vers l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) mais aussi parce que le recueil de leur parole sur ce thème "n'avait jamais été fait", explique à l'AFP Paul Alauzy, membre du collectif et coordinateur chez Médecins du monde.
Les violences déclarées, qui peuvent se cumuler, concernent neuf fois sur dix (88%) des "évictions" de lieux de vie ou des "dispersions dans l'espace public", problématiques lorsqu'elles ne sont pas accompagnées d'une solution de mise à l'abri, détaille le rapport. Une fois sur trois (33%), il s'agit de confiscations ou de destructions de biens et dans 30% des cas d'"agressions physiques".
Cela va du "coup de pied" ou "de matraque" à un exilé prié de rassembler ses affaires plus vite, jusqu'à de rares cas de "passages à tabac bien documentés", indique un deuxième responsable de l'observatoire, requérant l'anonymat en raison de ses fonctions dans une institution publique.
"Coup de grâce"
La plupart des cas concernent l'usage de gaz lacrymogène. Début mars, une vidéo rendue publique par l'association d'aide aux exilés Utopia 56, membre du collectif, montre un CRS diffuser plusieurs jets de gaz lacrymogène sur un matelas dans un campement de fortune sous le métro aérien. L'affaire avait provoqué l'ouverture d'une enquête administrative des CRS et fait l'objet d'un signalement à l'IGPN.
Dans ce cas, comme pour celui de la Place de la République, "tout le monde tombe des nues, mais ça se passe tous les jours" à l'abri des regards, souvent de nuit, dans des zones isolées, reprend le responsable. Les confiscations de biens ou de tentes, par exemple, s'opèrent souvent pendant que les exilés font la queue pour des distributions alimentaires. "C'est une violence systémique qui intervient dans un continuum de violences institutionnelles. Le coup de matraque, c'est un peu le coup de grâce pour des personnes à qui on a déjà tout refusé", poursuit-il.
Le collectif a sondé ces dernières semaines les principaux lieux de campements : sur les 93 exilés interrogés, 81% déclarent avoir été victimes de violences policières, à plusieurs reprises dans 66% des cas. À l'approche des Jeux olympiques de Paris, les associations sont convaincues que les forces de l'ordre vont "accélérer ces pratiques", qui vont de pair avec un "nettoyage social de l'espace public". Depuis le début de l'année, les autorités ont procédé à 33 opérations de mise à l'abri, pour près de 6.100 personnes.