"Vous nous voyez tenir, nous, les femmes, jusqu'à 64 ans ?" Linda, militante CFDT chez Carrefour, pose la question de manière purement rhétorique. "64 ans, c'est énorme. Moi, j'ai trois enfants. Il faut faire le ménage, les devoirs, s'occuper de ses gamins. Je n'ai que 37 ans et je suis déjà fatiguée. Vous imaginez à 64 ans ?" Alors la trentenaire a tenu à manifester, mardi, contre la réforme des retraites et son fameux âge-pivot de 64 ans, ligne rouge à ne pas franchir pour le syndicat auquel elle est affiliée. Comme 76.000 (selon le ministère de l'Intérieur) à 350.000 personnes (selon la CGT), elle a battu le pavé parisien.
"Je me prends deux ans de travail en plus, ce n'était pas prévu"
Comme Linda, Dona, 53 ans, milite à la CFDT. Et comme Linda, l'âge-pivot la fait bondir. "Là, je me prends deux ans de travail en plus alors que j'ai commencé à travailler tôt", dénonce celle qui travaille dans une grosse entreprise d'informatique. "Si je pars avant, je me prends une décote sur ma retraite de 5 à 10% jusqu'à la fin de ma retraite. Et ça, ce n'était pas prévu."
Pour Laurent Berger, leader de la CFDT, présent avant le départ du cortège, il s'agit d'une question de "justice sociale". "Quand on touche à la justice sociale, on trouve la CFDT sur sa route." Jusqu'ici, le syndicat réformiste n'avait pas appelé à descendre dans la rue contre le texte. L'entêtement du gouvernement sur l'âge-pivot l'a poussé à rejoindre la CGT. "Nous assumons d'être pour un système universel des retraites mais aussi de vouloir une réforme beaucoup plus juste que celle présentée aujourd'hui, et pas entachée par cette mesure qui demande aux gens de travailler plus longtemps et incidemment reporter l'âge de départ en retraite de 62 à 64 ans", résume Laurent Berger.
La CFDT met la pression
La CFDT est néanmoins restée en queue de cortège, tandis que les syndicats les plus durs, la CGT, FO et Solidaires, mais aussi la FSU pour les enseignants, en ont pris la tête. Dans les rangs de ceux qui réclament la suppression pure et simple de la réforme, on trouvait mardi beaucoup de professeurs, toujours aussi en colère en dépit des promesses de Jean-Michel Blanquer d'augmenter leur salaire et de ne pas baisser leur pension. "On ne sait pas, on ne peut pas tabler sur ce qu'il nous dit", lance Fadwa, institutrice depuis dix ans. "Cela dépend toujours de la conjoncture et la conjoncture fait que nos salaires sont gelés depuis dix ans. On n'a aucune garantie que les choses changent."
La poursuite du mouvement ne fait aucun doute pour la CGT. Mais Laurent Berger veut mettre la pression. "Si le gouvernement, d'ici à la fin de la semaine, ne répond pas à nos exigences en retirant [l'âge-pivot], la CFDT se mobilisera de nouveau en janvier", prévient le leader syndical. Quelle que soit leur affiliation, tous les manifestants présents mardi avaient le même sentiment : celui d'avoir marqué un point face à l'exécutif.