Son uniforme, invariable, aurait pu à lui seul résumer le bonhomme. En baskets rouges et tablier noir, Joël Robuchon ne faisait rien comme tout le monde. Le chef cuisinier français, à la tête d'un empire gastronomique, est mort lundi 6 août à l'âge de 73 ans, des suites d'un cancer. Il laisse derrière lui une longue carrière émaillée d'étoiles et de prix, et le souvenir de plats-signatures devenus incontournables, de la tarte aux truffes à la purée de pommes de terre.
Du séminaire à la cuisine
Pourtant, rien ne destinait véritablement ce fils de maçon et de femme de ménage, né à Poitiers le 7 avril 1945, à devenir un génie de la cuisine. Issu d'un milieu très catholique, Joël Robuchon devait plutôt entrer dans les ordres. C'est en entrant au séminaire, à 12 ans, où il est chargé de la préparation des repas, qu'il se découvre une passion.
En 1960 commence alors son apprentissage de cuisinier-pâtissier. Joël Robuchon n'a alors que 15 ans. Lorsqu'il fête ses 21 printemps, il rejoint les Compagnons du devoir et s'initie, sous la houlette de Jean Delaveyne, à la Nouvelle cuisine, mouvement culinaire basé sur un nombre plus limité de recettes à base de produits frais, également plus légères, servies en plus petite quantité et à la présentation soignée.
Japonaiseries
Si Joël Robuchon est devenu un temple de la cuisine française, il s'est aussi inspiré des gastronomies espagnole et japonaise. Cette dernière, notamment, a "beaucoup influencé [sa] cuisine", confie-t-il au Figaro au printemps dernier, "y compris dans la façon de présenter les plats, de respecter les saisons, de jouer avec les différentes vaisselles". À ce moment-là, il ouvre dans le 7e arrondissement parisien ce qui devait être son dernier établissement, un salon de thé-restaurant-pâtisserie-bar à saké.
Avant, Tokyo a souvent eu sa préférence pour ouvrir de nouvelles adresses. C'est dans la capitale nippone que Joël Robuchon lance son premier "Atelier" en 2003. Au total, les quatre établissements qu'il possédait au Japon lui auront rapporté pas moins de sept étoiles au Michelin.
Un empire gastronomique savamment construit
Mais le chemin est long pour en arriver là. Lorsqu'il se lance véritablement, en 1974, Joël Robuchon a 29 ans. Et dirige 90 cuisiniers dans les cuisines du Concorde Lafayette, dans le 17e arrondissement de Paris. Reconnu meilleur ouvrier de France en 1976, il prend les rênes de l'hôtel Nikko, toujours dans la capitale, deux ans plus tard. Et décroche ses deux premières étoiles au Michelin.
L'ouverture en 1981 de son premier restaurant, le Jamin, dans le 16e arrondissement, pose les premiers jalons de ce qui est devenu aujourd'hui un empire gastronomique. En 1989, Joël Robuchon crée un restaurant à Tokyo puis, en 1994, un autre établissement, qui porte son nom, dans le 16e arrondissement de Paris. Les années 2000 lui permettront de s'étendre avec l'invention de l'"Atelier", un concept de restaurant qui essaime de Paris à Singapour, en passant par Tokyo, Londres, New York ou Las Vegas. Le principe : pas de réservation, une cuisine ouverte sur une salle aussi rouge et noire que l'éternel uniforme du cuisinier, et une multitude de petites assiettes savoureuses.
Une purée qui a (presque) éclipsé les plats signatures
Savoureux, aussi, ce paradoxe qui avait le don d'agacer Joël Robuchon : le plat le plus connu de ce chef parmi les plus étoilés du monde est resté… une simple purée de pommes de terre. Dans les années 1980, sa version de cet accompagnement basique mais sublimé, mélange (riche) de rattes, de (beaucoup de) beurre et de lait (entier, évidemment) connaît un succès international. Au point d'en éclipser ses autres plats-signatures, parmi lesquels les raviolis de langoustines, la tarte friande aux truffes, les oignons confits au lard paysan, le foie gras de canard au fumet de céleri ou encore la crème de chou-fleur au caviar.
L'amour de la transmission
C'est donc sans surprise qu'en avril dernier, lorsque Joël Robuchon fait une apparition dans un épisode de "Top chef", l'émission de cuisine présentée sur M6, le thème imposé aux candidats est celui de la pomme de terre. Ce n'est alors pas la première fois que le cuisinier se montre à la télévision. Obsédé par l'idée de transmettre, Joël Robuchon participe à de nombreux programmes comme "Cuisinez comme un grand chef", diffusé sur TF1 dans les années 1990, puis "Bon appétit bien sûr" sur France 3 et "Planète gourmande". Auteur de nombreux livres, le grand chef s'associe également avec des marques comme Fleury Michon ou Reflet de France. Un moyen parmi d'autres de se rapprocher des consommateurs et de jouer le premier rôle qu'il s'était assigné : celui de vecteur. "La transmission du savoir-faire est fondamentale et reste un devoir pour moi", confiait-il à Luxe Magazine en 2010. "Gardons à l'esprit que nous ne sommes uniquement que des passeurs."