Est-ce la fin des camps de migrants à Calais ? C'est ce que veut croire le gouvernement qui a annoncé en septembre le démantèlement de la "jungle" de Calais, qui compte aujourd'hui entre 7.000 et 10.000 personnes selon les comptages. Le 26 septembre dernier, le président de la République François Hollande, en visite à Calais, annonçait en effet sa volonté de "démanteler définitivement, entièrement, rapidement, c'est-à-dire d'ici la fin de l'année, ce qu'on appelle la lande de Calais".
L'opération, dont rien n'a filtré pour l'instant, suscite pourtant l'inquiétude et l'agitation dans certaines communes qui ont été désignées pour accueillir ces migrants. Les associations et le Défenseur des droits s'alarment eux des conditions dans lesquelles le démantèlement doit avoir lieu, en particulier du sort des mineurs.
Quand commencera le démantèlement ? C'est la grande question qui, pour l'instant, reste sans réponse. Le Premier ministre Manuel Valls avait évoqué le 2 octobre une opération "dans les prochaines semaines". Mais, une note interne du ministère de l'Intérieur datée du 1er septembre précise que les préfets ont jusqu'au 15 octobre pour identifier quelque 8.200 nouvelles places d'hébergement. Jeudi, le Défenseur des droits Jacques Toubon a lui évoqué la date du 17 octobre. "Nous lancerons l'opération de démantèlement de la jungle de Calais quand nous aurons toutes les places", a pour sa part déclaré la ministre du Logement, Emmanuel Cosse, jeudi sur Europe 1.
Dans quelles conditions se fera le démantèlement ? Là aussi, les réponses manquent. Christian Salomé, président de l'association "L'Auberge des Migrants", l'une des plus importantes dans la jungle, explique à Europe 1 que "les conditions ne sont pas encore finalisées. Mais, il est sûr que l'on ne pourra pas évacuer 10.000 personnes en une journée". Il évoque l'hypothèse d'évacuer "2.000 personnes par jour pendant cinq jours".
Quelles réactions en France ? L'annonce de la répartition des migrants de Calais à travers la France a suscité la grogne voire la colère dans plusieurs communes de l'hexagone. Plusieurs manifestations ont ainsi eu lieu comme à Saint-Denis-de-Cabanne, dans la Loire, à l'appel du FN, ou à Louveciennes, dans les Yvelines contre le projet d'installation d'un centre d'accueil de migrants. A Allex, dans la Drôme, le tribunal administratif de Grenoble, saisi par les représentants de l'Etat, a fait annuler la tenue d'un référendum local sur l'accueil des migrants.
Des actions beaucoup plus violentes ont également eu lieu. Début septembre, c'est un futur centre d'accueil qui a été incendié à Forges-les-Bains dans l'Essonne. Dans la Loire-Atlantique, quatre coups de feu ont été tirés mardi soir sur le centre de vacances de Saint-Brevin-l'Océan, qui doit accueillir prochainement 70 migrants.
Emmanuelle Cosse s'est émue jeudi sur Europe 1 de "ces réactions de haine extrêmement dangereuses". "J'ai besoin que tous les humanistes, tous les progressistes de ce pays s'opposent, s'expriment pour dénoncer ces actions extrêmement racistes", a ajouté la ministre du Logement.
Dans quel état d'esprit sont les migrants ? "On a beau leur dire, leur répéter que le camp va être démantelé, seule la moitié des migrants y croit", constate Christian Salomé, de l'association "L'Auberge des Migrants". "Il y en a qui veulent partir, d'autres non", observe de son côté Jean-Claude Lenoir, de l'association "Salam". Ce dernier déplore qu'il n'y ait pas un affichage plus officiel dans "la jungle" pour annoncer aux migrants l'imminence du démantèlement. "Actuellement, il y a des centaines de migrants qui sont refoulés des bus car le gouvernement garde des places pour l'évacuation", dit-il. L'association "L'Auberge des Migrants" a en tout cas décidé de distribuer "des valises et des sacs" pour préparer les migrants à partir. A partir de lundi, les bénévoles iront aussi à la rencontre de chaque personne dans le camp pour leur poser cette question : comment envisagez-vous votre avenir ?
Quel dispositif pour les mineurs ? C'est précisément ce qui préoccupe le Défenseur des droits. Jacques Toubon a exprimé jeudi ses "inquiétudes les plus vives" sur les conditions de démantèlement en insistant particulièrement sur le sort des mineurs non accompagnés : "le dispositif d'accueil et de mise à l'abri sur place des mineurs non accompagnés n'est toujours pas opérationnel".
Selon ce dernier, "rien n'a été envisagé" pour ces mineurs qui ont déposé une demande d'asile en vue d'une réunification familiale en Grande-Bretagne. "Rien n'indique qu'ils puissent continuer à être suivis et accompagnés dans leurs démarches après le démantèlement du camp", dit-il. Enfin, le Défenseur des droits met l'accent sur la nécessité d'avoir des places adaptées aux mineurs dans les les Centres d'accueil et d'orientation (CAO).
Quelle suite pour Calais ? Que va devenir le centre d'accueil provisoire (le CAP) de Calais qui propose depuis janvier 2016 quelque 1.500 places dans des conteneurs chauffés ? Et le centre d'hébergement de Jules Ferry qui accueille 400 femmes et enfants ? "On en sait rien", avoue à Europe 1 l'association la Vie Active qui gère ces centres. "La crise migratoire à Calais n'est pas résolue donc on estime que ces centres sont utiles mais nous n'avons aucune visibilité", ajoute-t-on.
Xavier Bertrand, le président de la région Hauts de France, évoquait lui "l'évacuation complète, c'est-à-dire la fin de Jules Ferry, la fin du Centre d'Accueil Provisoire et la fin du campement dans la jungle". Un tel scénario serait une catastrophe, estime Christian Salomé. "S'ils détruisent les centres, ce sera un retour en arrière de 14 ans, on retrouvera les migrants à la rue, dans les bois autour de Calais. Ce sera encore pire que l'après Sangatte car il y a des milliers de personnes", prévient-il.