Le procès en appel du scandale sanitaire du Mediator, un médicament des laboratoires Servier accusé d'avoir causé la mort de centaines de patients, s'ouvre lundi pour six mois devant la cour d'appel de Paris. L'audience, qui se déroule dans la "salle des grands procès" du Palais de justice qui a déjà accueilli les procès des attentats du 13-Novembre et de Nice, doit débuter à 13h30. Mis sur le marché comme antidiabétique en 1976 mais indûment prescrit comme coupe-faim jusqu'en 2009, le Mediator a entraîné de graves effets secondaires sur des milliers de patients souffrant de pathologies cardiaques ou pulmonaires et parfois entraîné leur mort. Il a été prescrit à environ 5 millions de personnes durant ses trente-trois ans de commercialisation.
En première instance, les laboratoires Servier et leur ancien numéro 2, Jean-Philippe Seta, ont été reconnus coupables de tromperie aggravée et d'homicides et blessures involontaires. Servier a écopé d'une amende de 2,7 millions d'euros, Jean-Philippe Seta Seta d'une peine de quatre ans de prison avec sursis et d'une amende de 90.600 euros. Le groupe a été en outre condamné à verser un total de plus de 183 millions d'euros de dommages et intérêts aux victimes. Dans son jugement, le tribunal correctionnel de Paris a estimé que les laboratoires Servier "disposaient à partir de 1995, de suffisamment d'éléments pour prendre conscience des risques mortels" liés au Mediator.
Le deuxième laboratoire français a en revanche été relaxé des délits d'obtention indue d'autorisation de mise sur le marché et d'escroquerie, au préjudice notamment de la Sécurité sociale, ce qui a conduit le parquet de Paris et des parties civiles à faire appel. Dans leur sillage, le groupe pharmaceutique a lui aussi formé un appel. Condamnée à 303.000 euros d'amende pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator malgré sa toxicité, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps) n'a pas fait appel.
Plus de 7.500 parties civiles
Seuls le groupe Servier et Jean-Philippe Seta seront donc jugés devant la cour d'appel présidée par Olivier Géron. "Les laboratoires Servier et Jean-Philippe Seta Seta contestent toujours avoir délibérément trompé les patients et les médecins prescripteurs sur la dangerosité" du Mediator, a indiqué à l'AFP François De Castro, l'un de leurs avocats.
"Au premier jour de la mise sur le marché de ce médicament, ils avaient la parfaite connaissance des effets secondaires gravissimes" du médicament, estime au contraire Jean-Christophe Coubris, avocat d'environ 2.500 parties civiles. Plus de 7.500 parties civiles étaient constituées avant l'ouverture de l'audience. Comme pour les procès des attentats du 13-novembre et de Nice, elles pourront suivre sur une webradio les débats prévus jusqu'au 28 juin, à raison de deux journées et demi d'audience par semaine.
Une cinquantaine de parties civiles devraient témoigner à la barre durant quatre jours fin février. La pneumologue Irène Frachon, qui avait révélé au grand public l'ampleur du scandale, viendra de nouveau témoigner à la barre, même si elle a confié à l'AFP avoir "perdu confiance dans la capacité de la justice à condamner ce type d'infractions à la hauteur de la gravité des délits commis".
Confirmation du jugement de première instance
"La montagne a accouché d'une souris" en première instance, a-t-elle estimé en regrettant "la modicité des peines", en deçà des réquisitions du parquet, et une occasion manquée de "donner un signal fort" aux industriels du médicament qui ne respecteraient pas les règles. "Mes clients ont été très marqués que la sécurité sociale n'ait pas été remboursée de tout ce qu'elle a exposé en remboursement du Mediator, depuis la fin des années 70. Ça représente presque 500 millions d'euros. Et il faut à tout prix que le laboratoire rembourse (cette somme ndlr) et même, que le profit réalisé grâce au Mediator, lui soit confisqué", explique au micro d'Europe 1 Me Charles Joseph Oudin, qui représente plus de 1000 parties civiles.
Dans une tribune publiée dans le Journal du dimanche, la praticienne de l'hôpital de Brest-Carhaix (Finistère) a demandé à Emmanuel Macron de modifier le code de la Légion d'honneur afin de retirer à titre posthume cette décoration à Jacques Servier, le fondateur des laboratoires du même nom, décédé en 2014 sans avoir rendu de comptes à la justice. Pour les avocats des parties civiles, l'enjeu du procès est d'obtenir la confirmation du jugement de première instance, le maintien a minima des indemnisations versées à leurs clients et que Servier soit reconnu coupable d'escroquerie.