100.000 euros contre toute information menant à la "capture du suspect". C’est la récompense promise par la police fédérale allemande (BKA) pour tenter d’appréhender Anis A., le ressortissant tunisien, auteur présumé de l’attentat contre le marché de Noël de Berlin. Les ratés du début de l’enquête, le caractère hors-norme de l’affaire mais également l’urgence de mettre la main sur cet homme a priori armé justifient, aux yeux des autorités allemandes, d’avoir recours à ce procédé rarissime en Europe. Parmi les 40 criminels les plus recherchés par Europol, seuls trois faisaient jusqu’à présent l’objet d’une récompense de 2.900 à 10.000 euros.
Mais à peine lancé, le procédé est déjà contesté. Dans sa philosophie d’abord : rémunérer la délation, même d’un criminel, fait débat outre-Rhin. Sur son efficacité ensuite. "100.000 euros, c’est trop peu pour qu’un proche puisse le dénoncer. Les gens de son entourage ne prendront pas le risque de collaborer avec la police pour une somme si peu attrayante", assure Louis Caprioli, ancien responsable de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Néanmoins, les enquêteurs allemands espèrent que leur appel fera notamment écho parmi les réfugiés. Les premières investigations ont permis de confirmer que le Tunisien, dont la demande d’asile a été rejetée, avait séjourné dans des centres pour réfugiés.
Dernier recours. En France, la police rémunère ses indicateurs pour toute information susceptible de faire avancer une enquête mais le principe de la "mise à prix" d’un individu est exceptionnel. Il fut néanmoins utilisé en 1986, après la vague d’attentats qui a touché Paris, et notamment celui de la rue de Rennes qui fit sept victimes. "On n’avait aucune piste, aucun indice", se souvient Louis Caprioli. Charles Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, promet un million de francs pour toute information permettant d'arrêter les terroristes. Et l’appel est entendu. En janvier 1987, un homme a livré aux enquêteurs de précieux éléments sur tout l’aspect logistique du réseau qui a permis de donner un coup d’accélérateur aux investigations.
Pourquoi ce procédé n’a-t-il pas été une nouvelle fois utilisé dans les récentes affaires de terrorisme ? "Cela dépend du profil des enquêtes, on l’utilise en dernier recours", poursuit l’ancien chef de la DST. Or, que ce soit pour l’affaire Merah, les attentats de Charlie Hebdo ou ceux du 13 novembre à Paris, les enquêteurs sont rapidement parvenus à collecter de nombreux éléments. D’autant qu’un tel appel nécessite une logistique importante. Dans les premières heures qui ont suivi l’attentat, la police allemande a reçu quelque 500 appels, dont 80 ont été pris au sérieux. L’annonce d’une récompense engendrera probablement plusieurs milliers de témoignages plus ou moins crédibles qu’il faudra vérifier, recouper, ce qui mobilisera de nombreux enquêteurs.
25 millions de dollars pour Al-Baghdadi. Si en Europe le procédé est rarissime, il est monnaie-courante aux Etats-Unis. Le programme Rewards for Justice a, selon son site, d’ores et déjà versé 125 millions de dollars à des personnes ayant permis d’empêcher un attentat ou contribué à la traduction en justice d’un terroriste présumé. Les fameux "chasseurs de prime" traquent les fugitifs à travers tout le pays voire au-delà des frontières. Et les montants pour les criminels particulièrement recherchés s’envolent parfois. Les services de renseignements américains proposent ainsi 25 millions de dollars pour l’arrestation d’Abou Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de l’Etat Islamique. Ce système pourrait-il se généraliser en Europe également ? L’expert n’y croit pas. "Non seulement ce n’est pas dans notre tradition mais cela ne présente un intérêt que dans des cas très particuliers, dans des situations d’urgence lorsque l’enquête n’avance pas."