Les libertés fondamentales, "grignotées" depuis plusieurs décennies et "toujours davantage" par les gouvernements successifs, sont en "très mauvais état", s'inquiète le président de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), dans un entretien lundi au Monde.
"Au nom de la sécurité, toutes nos libertés sont menacées"
"En apparence, nous sommes un État de droit, et l'on s'en flatte assez, nous avons un corpus juridique étoffé, des juges chargés de protéger nos libertés… En apparence, rien de tout ça n'est menacé. Dans la réalité, c'est autre chose. Au nom de la sécurité, toutes nos libertés le sont", critique Jean-Marie Delarue, nouveau président de cette commission. "On n'arrête pas de nous dire que 'la sécurité est la première de nos libertés', selon une formule désormais consacrée. C'est faux ! La sécurité est éventuellement l'une des conditions de notre liberté. Cet aphorisme est une dangereuse illusion qui pousse depuis plusieurs décennies les gouvernements à grignoter nos libertés toujours davantage", s'insurge Jean-Marie Delarue.
La France n'avait alors "pas besoin de nouvelles lois"
Pour cet ex-directeur des libertés publiques au ministère de l'Intérieur (1997-2001), le "point de départ" de ce recul est la loi "sécurité et liberté" d'Alain Peyrefitte en 1981. La France n'avait alors "pas besoin de nouvelles lois pour mettre en prison des terroristes. Et ça n'est pas plus le cas aujourd'hui", juge Jean-Marie Delarue, qui fut également contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2008 à 2014. Désormais, il suffit de se trouver dans les environs d'une manifestation pour devenir un Français suspect faisant l'objet de mesures extraordinaires, comme des fouilles", déplore-t-il en évoquant la récente loi "anticasseurs", dans le contexte du mouvement social inédit des "gilets jaunes". "Il est par ailleurs très inquiétant de voir des gouvernements donner toujours raison à leur police. Les policiers sont des gens très estimables, mais comme tout le monde, ils peuvent faire des erreurs et avoir tort", estime-t-il aussi.
Où sont les citoyens ?
Ce qui "inquiète beaucoup" également le président de la CNCDH, c'est l'absence de réaction face au recul des libertés fondamentales, "comme si toutes ces lois successives avaient fini par tétaniser la protestation, comme si tout cela n'intéressait pas l'opinion". Or, "les droits de l'Homme, ce n'est pas un machin qu'on met en avant de temps en temps comme une cerise sur le gâteau, ce n'est pas une décoration ni un sapin de Noël qu'on installe une fois par an, c'est la base de tout", souligne Jean-Marie Delarue.