Le Mont-Saint-Michel, les volcans d’Auvergne, les Gorges de l’Ardèche, les Calanques de Marseille… Le gouvernement envisage de simplifier les règles pour obtenir un permis de construire sur ces sites classés. Le Réseau des Grands Sites de France appelle le gouvernement à faire marche arrière.
Comme 2.500 autres sites classés, la Baie de Somme, avec sa végétation unique, ses phoques, ses oiseaux, ses dunes de sable, est protégée par une loi qui date de 1930. "Protégée", cela signifie que pour tout projet de travaux ou de construction d'une maison ou d'un hôtel, il faut l’accord du ministère de la Transition écologique. Aujourd'hui, le gouvernement souhaite décentraliser cette politique, c'est-à-dire que les décisions ne seront plus prises à Paris, mais directement par les préfets départementaux dans les territoires concernés.
"Il faut quand même que le ministère garde un peu la main sur certaines choses très sensibles"
Il peut sembler logique que ces décisions soient prises au niveau local. C'est d'ailleurs ce que réclament depuis longtemps les élus locaux, notamment pour les petits travaux comme l'agrandissement d'une maison par exemple. Mais en ce qui concerne la Baie de Somme, tous s'accordent à dire que la nouvelle règle va trop loin. "Il faut quand même que le ministère garde un peu la main sur certaines choses très sensibles. On ne sait jamais, avec certaines lois, certains promoteurs s'engouffrent d'un seul coup. On a déjà eu des promoteurs qui voulaient construire presque avec une vue imprenable sur la mer dans des endroits où c'est interdit. On subit de temps en temps cette pression. Il faut quand même rester très vigilant pour ne surtout pas détruire ce qu'ont préservé nos anciens", explique Alain Baillet, maire de Fort-Mahon, sur Europe 1.
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La pression des promoteurs est bien réelle. Il s'agit de coups de téléphone, de promesses d'emplois pour le territoire et on peut déjà imaginer qu'il y a beaucoup d'idées dans les cartons qui seront bientôt sur les bureaux des préfets. Ces investissements représentent aussi beaucoup d’argent. Plus concrètement, on parle d'un restaurant près d'un lac d’altitude, il y a aussi un projet de centrale photovoltaïque sur l'Ile d'Yeu ou encore des bacs de rétention d’eau en montagne pour alimenter les canons à neige d'une célèbre station de ski.
"Le préfet peut être mis sous la pression de grands élus"
Stéphane Haussoulier, président du syndicat mixte Baie de Somme - Grand Littoral Picard. Il craint que ce soit beaucoup plus simple de mettre la pression sur un maire ou un préfet que sur un ministre : "Le préfet, lui aussi, même s'il a une grande capacité à résister, peut être mis sous la pression de grands élus qui ont une plus grande capacité à lui tordre le bras, aimablement toujours. Il vit dans un contexte et tout cela, à un moment donné, ça peut faire en sorte que des décisions qui n'auraient peut-être pas été prises par le ministre, sont prises par un représentant de l'État parce qu'il se dira que tout compte fait, c'est une situation peut-être acceptable au regard des critères que lui a définis."
Et cela signifie un arbitrage qui sera différent d'un préfet à l'autre, d'un territoire à l'autre. Depuis le début, les inspecteurs des sites - des fonctionnaires normalement soumis au devoir de réserve - sont aussi très remontés contre ce décret. Leur rôle est d'émettre un avis éclairé sur les projets en question et ils s'inquiètent de l'érosion insidieuse du paysage, que tout se fasse petit à petit. Une montgolfière touristique au-dessus d'un lac, puis un petit train pour en faire le tour, puis une tyrolienne géante, etc.
"Les années passant, on sur-équipe des lieux qui ne le supportent pas"
"On sait très bien que l'engouement pour ces aménagements-là génère des extensions. On est souvent débordé parce que, si on avait eu le projet dans son ensemble d'emblée on l'aurait refusé, mais les années passant, on sur-équipe des lieux qui ne le supportent pas", confie David Couzin, président de l’association des inspecteurs des sites.
De son côté, le ministère de la Transition écologique répond qu'il s'agit ni plus ni moins de poursuivre la décentralisation et d'accélérer les délais d'instruction des dossiers. Le but est de passer de six à quatre mois en moyenne et ça il faut l'avouer, c'était une demande claire des élus locaux. Par ailleurs, le ministère gardera un pouvoir d'évocation. C'est-à-dire qu'il sera toujours habilité à émettre un avis si les préfets en font la demande.