C’est un premier pas dans la lutte contre la mortalité toujours plus forte des abeilles. À partir de ce samedi 1er septembre, cinq pesticides néonicotinoïdes seront désormais interdits en France. Une mesure qui provoque l’ire des agriculteurs, tout en laissant les apiculteurs sur leur faim.
Quels produits sont interdits et pourquoi ?
Cinq pesticides néonicotinoïdes, qui servent notamment à débarrasser des insectes les cultures de betteraves, de colza, ou encore de blé, vont être interdits en France, qui, dans les faits, va plus loin que l’Union européenne. En avril, l’UE a en effet décidé de l’interdiction dans tous les pays membres de trois substances, la clothianidine, la thiaméthoxame et l’imidaclopride, à partir du 19 décembre. Pour ces trois pesticides, la France, dans sa loi biodiversité de 2016, a décidé d’aller plus vite et de les interdire à partir du 1er septembre, tout en élargissant, par un récent décret d’application, la liste des produits interdits au thiaclopride et à l’acétamipride.
Des dérogations restent toutefois possibles, a précisé le ministère de la Transition écologique, au cas par cas pour les produits à base d’acétamipride, en faible quantité, et ce jusqu’au 1er juillet 2020. L’Europe, elle, permet l’usage des substances sous serre.
De quelle ampleur est la crise des abeilles ?
S’il n’existe pas encore d’estimation chiffrée précise, les apiculteurs ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur l’augmentation de la mortalité des abeilles. Rien que cet hiver, 20.000 colonies sont mortes en Bretagne, dénonçait lors de manifestations en avril ou en juin le syndicat des apiculteurs professionnels de Bretagne. Les abeilles sont également mises en danger par d’autres facteurs comme le froid particulièrement tenace durant l’hiver ou la présence du frelon asiatique.
Cette colère montante des apiculteurs a poussé le gouvernement à débloquer fin juillet une aide de trois millions d’euros, effective d’ici fin décembre, et qui sera accordée sous la forme d’aides à l’achat d’essaims.
Pourquoi cette mesure provoque-t-elle la grogne des agriculteurs ?
Si la décision de la France pourrait rassurer les apiculteurs, elle provoque en revanche la colère des agriculteurs, alors que les substances interdites sont utilisées dans de nombreuses cultures.
En tête de la fronde, les producteurs de betteraves qui utilisent les néonicotinoïdes depuis 1992 pour lutter contre le puceron vert, vecteur du virus de la jaunisse. "Il n’y a pas de solution contre cette maladie et les néonicotinoïdes sont très importants pour la betterave car ils permettent de défendre la plante pendant 90 à 100 jours durant la période de croissance, entre avril-mai et juillet", déclarait notamment à l’AFP Alexandre Quillet, membre du bureau de la Confédération générale des planteurs de betteraves. Selon le Bureau, "les rendements vont baisser au moins de 12%", et la perte pour les producteurs pourrait aller jusqu’à 300 euros par hectare "au minimum".
Cette grogne est également nourrie par la FNSEA. Dans un communiqué signé en compagnie de l’Association générale des producteurs de blé, le puissant syndicat agricole regrettait qu’"un très grand nombre d’entre eux (les producteurs) se retrouvent désormais dans une impasse technique dramatique". Les agriculteurs mettent également en avant les risques de "distorsions de concurrence avec les producteurs européens et non européens".
Cette mesure sera-t-elle suffisante ?
L’interdiction des cinq substances néonicotinoïdes n’est qu’un premier pas et ne calme pas l’inquiétude des apiculteurs. Les professionnels redoutent notamment les diverses dérogations qui pourraient être décidées, et s’inquiètent déjà des néonicotinoïdes "nouvelle génération" comme le sulfoxaflor.
"Cette disposition doit absolument être confirmée et précisée", estime auprès des Échos François Veillerette, de Générations futures, qui prédit que "les industriels de la chimie vont essayer de créer de nouvelles molécules en arguant qu’il ne s’agit pas de néonicotinoïdes".
Dans La Croix, Jean-Marc Bonmatin, toxicologue et chimiste au CNRS, estime lui que le problème est plus large que les cinq substances interdites. "Il faut arrêter de faire du traitement préventif", explique-t-il, dénonçant "une fausse solution". "Cela aggrave le problème puisque les 'ravageurs' visés s’habituent petit à petit aux pesticides présents partout dans la nature, et y deviennent de plus en plus résistants".
Au micro d’Europe 1, Axel Decourtye, directeur scientifique de l’institut de l’abeille, rappelle que "les abeilles sont soumises à d’autres pesticides que les néonicotinoïdes, souvent à des cocktails sur du long terme, mais également à des parasites, des prédateurs, de nombreux virus, et subissent des pénuries de ressources alimentaires". Et si quelques alternatives existent notamment du côté de l’agriculture biologique, le chercheur note que toute alternative chimique "a potentiellement une toxicité pour l’abeille", et invite donc à les utiliser en dehors des périodes d’activité de ces insectes, la nuit.
Le départ d'Hulot inquiète
Alors que les apiculteurs restent sur le qui-vive, le départ surprise de Nicolas Hulot n’est pas de nature à les rassurer, bien au contraire. Dans un communiqué, l’Union nationale de l’Apiculture française estime qu’avec la démission du ministre, "les abeilles ont perdu leur seul allié au sein du gouvernement" .
"Certains secteurs de l’agriculture exercent de fortes pressions pour continuer d’utiliser ces produits extrêmement toxiques. Avec le départ de Nicolas Hulot du gouvernement, l’Unaf et l’ensemble des apiculteurs ont la plus grande inquiétude sur les dérogations qui pourraient être octroyées", prévient encore l'organisation. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert est prévenu.