Maintes fois repoussée, l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, c'est-à-dire aux couples lesbiens et aux célibataires, fera bien l'objet d'un projet de loi. Mercredi, dans son discours de politique générale, Edouard Philippe a confirmé que le texte, "prêt", "sera adopté en Conseil des ministres fin juillet" et débattu au Parlement "dès la fin septembre". Une mesure qui figurait dans le programme du candidat Macron et a été chaleureusement accueillie par la majorité dans l'Hémicycle. Et le Premier ministre d'ajouter alors : "Sur certaines questions, comme le régime de filiation, plusieurs options sont possibles. Le gouvernement a retenu celles qui lui semblaient les plus à même de permettre un débat apaisé."
De quelles options parle donc Edouard Philippe en matière de filiation ? Trois sont sur la table afin de pouvoir reconnaître deux femmes en tant que parents d'un enfant. De fait, aujourd'hui, la PMA étant interdite en France pour les couples de lesbiennes, la conjointe de la mère biologique n'a d'autre choix que de passer par l'adoption pour faire valoir ses droits sur l'enfant. À l'avenir, il faudra nécessairement adapter le droit.
Une "présomption de co-maternité" critiquée
La première possibilité consiste à appliquer aux couples de femmes ce qui se fait aujourd'hui pour les couples hétérosexuels ayant recourt à la PMA avec un don de gamètes. Il faut donc passer chez un notaire ou un juge pour "prendre acte du projet parental". Par la suite, le conjoint de la mère biologique est reconnu père avec une "présomption de paternité". Dans le cas d'un couple de femmes, cela deviendrait une "présomption de co-maternité".
" Il faut que les modalités soient les mêmes pour tous. "
Cette option est privilégiée par certaines associations LGBT, notamment l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), qui réclame une "présomption de parenté". Une mesure d'égalité, souligne l'organisme dans un communiqué, qui permettrait de "donner les mêmes droits à toutes et tous" grâce aux "mêmes procédures pour établir les filiations de tous les enfants, qu'ils soient nés dans des familles homo ou hétéro-parentales".
Même son de cloche chez SOS Homophobie. "Il faut que les modalités soient les mêmes pour tous", plaide Delphine Plantive, membre de l'association qui a traversé plus de neuf mois de galère pour que sa femme puisse adopter leur fils, conçu par PMA en Belgique. De nouveau enceinte, la jeune femme ne veut pas revivre les procédures judiciaires, la visite de la police pour vérifier que sa femme habite bien au domicile conjugal ou le recueil de témoignages de proches qui certifient qu'elle est une bonne mère.
Mais il n'existe pas de consensus. En juin dernier, le Conseil d'État a rendu un rapport dans lequel il souligne que "cette solution apparaît en contradiction avec la philosophie des modes d'établissement classiques de la filiation". Selon lui, cette "présomption" doit "refléter une vérité biologique". Un avis aujourd'hui partagé par l'Association des familles homoparentales (ADFH). "Singer ce qui se fait avec les couples hétérosexuels n'a aucun sens", estime Fabien Joly, porte-parole. "Cela reviendrait à se focaliser sur un semblant de biologie qui n'a pas lieu d'être puisqu'on sait bien que la deuxième mère n'a pas de lien biologique avec l'enfant."
Une "déclaration commune anticipée" pour tout le monde…
La deuxième option est celle de la "déclaration commune anticipée de filiation". Exposée par le député LREM Jean-Louis Touraine dans un rapport rendu en février dernier, cela consisterait à reconnaître l'enfant devant un notaire avant l'accouchement. Cette déclaration dûment signée serait ensuite remise à l'officier d'état civil à la mairie, et celui-ci porterait une mention spécifique sur la copie intégrale de l'acte de naissance. Jean-Louis Touraine recommande de faire cela pour tous les enfants nés par PMA avec don de gamètes, y compris ceux issus de couples hétérosexuels. "Cela créerait une sécurité juridique suffisante", écrit-il dans son rapport, et c'est en outre "simple et juridiquement cohérent".
" La France serait le seul pays où des enfants se verraient imposer l'inscription de leur mode de conception sur un acte civil. "
Du côté de l'ADFH, on approuve. "La sécurisation de la filiation est assurée, même en cas de dispute ou de séparation avant la naissance", relève Fabien Joly, qui estime par ailleurs que la mention sur l'acte de naissance est une juste mesure de transparence. "Les enfants sauront comment ils ont été conçus et pourront, s'ils le souhaitent, avoir accès à leurs origines. Cela n'enlève rien à leurs parents." Mais ce n'est absolument pas l'avis de l'AGPL, qui juge cette déclaration "inutile et stigmatisante". "Par une telle réforme, la France serait le seul pays où des enfants se verraient imposer l'inscription de leur mode de conception sur un acte civil, information des plus intimes participant de leur vie privée, mise à nue", s'agace l'association dans un communiqué.
Delphine Plantive, de SOS Homophobie, ne dit pas autre chose. "Savoir par quel moyen est né un enfant ne regarde personne. C'est injuste pour lui. On ne va pas mettre que tel bébé a été 'conçu lors d'une soirée arrosée' !" Par ailleurs, les parents hétérosexuels pourraient s'opposer à ce que leur enfant soit désormais au courant de son mode de conception. "Aujourd'hui, ils ont le choix de raconter ce qu'ils veulent", souligne Delphine Plantive.
…ou seulement pour les couples lesbiens
Enfin, la troisième possibilité est celle d'une déclaration commune anticipée de filiation, mais qui ne serait à faire que pour les couples de femmes. Si Jean-Louis Touraine l'avait écartée dans son rapport, c'est parce qu'il "estime, dans sa volonté de supprimer des situations discriminatoires et des inégalités entre les couples, que cette option ne peut être retenue par le législateur". Mais là n'est pas l'avis du Conseil d'État. Celui-ci tient à "préserver le secret sur le mode de conception" pour les enfants nés d'un don à un couple hétérosexuel.
" Nous n'accepterons pas une nouvelle discrimination uniquement pour les enfants conçus par PMA dans un couple de femmes. "
Cette option est cependant rejetée par toutes les associations LGBT. "C'est clairement discriminatoire", avance Fabien Joly. "Aberrant et injuste", tonne Delphine Plantive.
Interrogée sur le sujet jeudi, sur France Inter, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a prévenu que les deux dernières options "ont été transmises au Conseil d'État" pour avis. Sauf revirement improbable, celui-ci devrait rester sur sa position, à savoir préconiser un système de filiation différent pour les enfants de couples lesbiens. Le gouvernement n'a pas encore tranché, a prévenu la Garde des Sceaux.
Du côté de l'ADFH, on espère avoir gain de cause sans menacer de blocage. "Le plus important, c'est l'extension de la PMA et la sécurisation de la filiation. On peut être toujours dans le mécontentement, ou saluer les avancées", explique Fabien Joly. "Si malheureusement il était retenu [un régime spécifique pour les couples de femmes], nous en serons désolés, et nous essaierons plus tard de changer la loi. Mais nous n'en ferons pas de casus belli." Le discours est nettement plus ferme du côté de SOS Homophobie. "La politique des petits pas, on l'a vécue depuis le mariage pour tous. Résultat, on a dû attendre des années, on attend encore la PMA", rappelle Delphine Plantive. "Notre position reste la stricte égalité. Nous n'accepterons pas une nouvelle discrimination uniquement pour les enfants conçus par PMA dans un couple de femmes."