L'Etat a été condamné mercredi à payer 10 millions d'euros pour ne pas avoir renforcé suffisamment son dispositif contre la pollution de l'air, une somme record pour une décision qualifiée à l'avance d'"historique" par les ONG. La somme, la plus élevée jamais imposée pour contraindre l'Etat à appliquer une décision de la justice administrative, reflète le manquement répété des gouvernements successifs à exécuter entièrement les injonctions de la plus haute juridiction administrative française.
La première décision dans cette affaire, emblématique d'un fléau qui fait 40.000 morts par an en France, remonte à juillet 2017. Le Conseil d'Etat avait alors enjoint l'Etat de mettre en œuvre des plans de réduction des niveaux de particules PM10 (diamètre inférieur ou égal à 10 microns) et/ou de dioxyde d'azote (NO2, notamment associé au trafic routier) dans treize zones. Mais trois ans plus tard, malgré les feuilles de route adoptées, la justice constatait des valeurs toujours dépassées pour 8 d'entre elles, et donnait six mois à l'Etat pour durcir ses mesures.
Un nouveau point en 2022
Fin janvier 2021, le Conseil d'Etat a lancé une analyse pour évaluer les nouvelles politiques, notamment la généralisation prévue des zones à faibles émissions limitant la circulation dans les grandes villes, mise en avant par l'Etat. Mais si les juges constatent bien une amélioration dans plusieurs des zones concernées, ils pointent du doigt un dépassement des seuils limites de pollution ou un retour "non consolidé" sous ces seuils dans cinq agglomérations pour le NO2 (Paris, Lyon, Marseille-Aix, Toulouse et Grenoble) et à Paris pour les PM10. "L'Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l'exécution complète des décisions" de 2017 et 2020, estiment-ils.
"Si l'ensemble des mesures mises en avant par la ministre (de la Transition écologique) devraient avoir pour effet de poursuivre l'amélioration de la situation constatée à ce jour, les incertitudes entourant l'adoption ou les conditions de mise en œuvre de certaines d'entre elles ainsi que l'absence d'évaluation fiable de leurs effets dans les zones concernées ne permettent pas, en l'état de l'instruction, de considérer qu'elles seront de nature à mettre un terme aux dépassements encore constatés ou de consolider la situation de non-dépassement", insiste la décision. Cette somme de 10 millions d'euros concerne le premier semestre 2021.
Le Conseil d'Etat réexaminera début 2022 les actions du gouvernement pour le second semestre et pourra "à nouveau ordonner le paiement d'une nouvelle astreinte de 10 millions d'euros, qui pourra éventuellement être majorée ou minorée", a précisé dans un communiqué la plus haute juridiction administrative française, de plus en plus active en matière environnementale. Dès les recommandations du rapporteur public mi-juillet, qui avait demandé la même somme, les ONG requérantes avaient parié sur une décision "historique". "Si le Conseil d'État suit les conclusions du rapporteur public, cette astreinte sera historique et renforcera le rôle clé joué par la justice administrative dans la lutte contre le changement climatique", avaient alors déclaré les Amis de la Terre, à l'origine de cette action, et Greenpeace.
La somme est divisées entre plusieurs organismes publics engagés dans la lutte contre la pollution de l'air
En général les astreintes sont versées au budget de l'Etat, mais l'Etat étant lui-même le débiteur dans cette affaire, les juges ont innové en matière de bénéficiaires. Le Conseil d'Etat a ainsi attribué 100.000 euros aux Amis de la Terre. Le reste est divisé entre plusieurs organismes publics engagés dans la lutte contre la pollution de l'air (Ademe, Cerema, Anses, Ineris) et quatre associations régionales de surveillance de la qualité de l'air. Alors que certains requérants réclamaient la mise en place d'un fonds spécifique pouvant financer des projets dédiés à la lutte contre la pollution de l'air, les ONG s'inquiètent que l'Etat réduise ensuite d'autant le budget de ces organismes.
Cette condamnation fait suite à une autre décision "historique" du Conseil d'Etat, reflétant la multiplication des actions en justice à travers le monde pour demander aux Etats et aux entreprises à en faire plus pour protéger la planète. Le 1er juillet, les juges ont ainsi donné à l'Etat neuf mois pour prendre des mesures supplémentaires contre le réchauffement. A l'issue de cette période, s'ils estimaient que les mesures sont toujours insuffisantes, ils pourraient là aussi imposer une astreinte financière.