Pourquoi Calais reste-t-elle la ville des migrants ?

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La ville du nord de la France est la dernière étape vers la Grande-Bretagne, encore perçue par nombre de migrants comme "l’Eldorado". Pour quelles raisons ? 

Des centaines de clandestins à l’assaut d’une vie meilleure. Le tunnel sous la manche a connu une nouvelle "invasion" de migrants dans la nuit de mardi à mercredi. Pour l’un d’entre eux, percuté par un camion, le rêve s’est soldé par la mort. La neuvième survenue sur la zone du tunnel depuis le mois de juin. Ces vagues sont désormais quotidiennes avec 1.500 à 2.000 tentatives chaque nuit depuis deux mois. Depuis 25 ans, les candidats au départ se massent toujours au même endroit, dans les alentours de la même ville du Nord de la France : Calais. Pourquoi le nom de cette ville reste-t-il associé à la problématique des migrants ? Pourquoi la Grande-Bretagne est-elle perçue par ces hommes et femmes comme la lueur au bout de l’exil ? Explications.

Qui sont les migrants de Calais ? Derrière le terme générique de migrants se cache une multitude de parcours et d’origines qui ont poussé ces individus à prendre la route vers une vie meilleure : guerre en Syrie, misère en Afrique… "Calais est un miroir des conflits et des crises qui déchirent certaines régions du monde", estimait mercredi Bernard Cazeneuve, avant d’annoncer un renfort policier de 120 fonctionnaires sur place. Ces deux dernières années ont vu une explosion du nombre de migrants dans la ville du nord de la France. Selon un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rendu en juillet dernier, si on comptait 300 à 400 migrants à Calais fin 2013, ils seraient aujourd’hui entre 2.500 et 3.000. 

Ce sont majoritairement de jeunes hommes âgés de 18 à 35 ans, venus essentiellement du Soudan, d’Erythrée, d’Ethiopie, d’Afghanistan, de Syrie et d’Irak. Ces candidats au départ vivent dans un camp d’une superficie de 18 hectares, sans électricité ou éclairage, ni toilettes ou point d’eau. Dans une insalubrité extrême et une profonde précarité, ces exilés sont des proies faciles pour les réseaux de passeurs qui désinforment et entretiennent le mythe de "l’Eldorado" britannique.

La langue et la communauté, facteurs essentiels. "Quand vous êtes dans le dénuement le plus total, vous allez aller vers qui parle votre langue et est capable de vous permettre de manger, de tenir à peu près debout même si c’est dans une situation compliquée", explique à Europe 1 Pierre Henry, président de l’association France terre d’asile. La majorité des migrants de Calais sont anglophones et issus de pays sortis du giron de l’empire colonial britannique. "Si vous parlez anglais, vous allez plutôt vers la Grande-Bretagne. Par ailleurs, il y a un système communautaire outre-Manche. La communauté, ça protège. Et c’est pour cette protection que les gens veulent rejoindre leur communauté déjà présente en Grande-Bretagne", ajoute Pierre Henry.

Un accès au travail facilité outre-Manche… Disposer d’un réseau familial ou communautaire constitue un atout de poids quand il s’agit d’avoir accès à l’emploi, projet de nombre de ces migrants. "C’est plus simple de trouver du travail pour eux à l’intérieur de la communauté. Même avec des petits boulots de survie, au noir, avec toujours le sentiment que la communauté protège", analyse Pierre Henry.

D’autre part, le dynamisme de l’économie anglaise joue fortement dans son pouvoir d’attraction. Le taux de chômage n’y est "que" de 5.6% contre 10% en France. Enfin, la lutte contre le travail au noir reste encore toute relative au Royaume-Uni, même si un projet de loi prévoit de saisir les salaires des travailleurs clandestins. "Il est encore trop facile de travailler illégalement dans ce pays", déplorait le premier ministre James Cameron en mai dernier.

…et une vie d’immigré plus douce ?  Selon Eurostat, l’Office statistique de l'Union européenne, 31.475 migrants ont déposé une demande d’asile au Royaume-Uni en 2014. Ils étaient deux fois plus en France avec 62.735 demandes. Cependant, 39% de ces demandes ont été acceptées au Royaume-Uni contre seulement 22% chez nous. Le droit d’asile en Grande-Bretagne garantit, comme en France, l’accès à une allocation, un logement et au système de santé gratuit. Un demandeur d’asile majeur et sans enfant touche ainsi 52 euros par semaine. C’est moins que dans l’hexagone où l’ "allocation temporaire d’attente" est de 11,45 euros par jour.  En revanche, dans le cas où l’asile est refusé, le clandestin est moins exposé aux contrôles : la carte d’identité n’existe pas en Grande-Bretagne.

Comment décharger Calais de cette pression grandissante ? Pierre Henry note qu’un certain nombre des migrants de Calais "répondent véritablement d’une situation d’asile en Grande-Bretagne", comme le stipule le règlement de Dublin III. Selon ce texte, la France peut demander à son homologue de prendre en charge un demandeur d’asile pour "rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondée". Une disposition qui n’est pas systématiquement appliquée regrette-t-il, comme nombre d’observateurs.

Le président de France Terre d’asile évoque également la mise en place d’un "bureau d’asile commun et franco-britannique" à Calais.  De nombreux rapports et expertises ont été menés ces derniers mois. "Il y a une trentaine de propositions sur la table qui sont assez convergentes. Il faut maintenant faire le nécessaire. C’est une question de volonté politique", insiste Pierre-Henry. "La crise migratoire n’en est qu’à ses débuts. A moins que demain, d’un coup de baguette magique, nous ayons trouvé la solution politique au conflit syrien ou à la crise libyenne". Et de conclure : "je n’ai pas l’impression que nous en prenions le chemin".