Le procès de trois employés de l'abattoir bio du Vigan (Gard) s'est ouvert jeudi. Les pratiques de cet abattoir ont été pointées du doigt dans une vidéo tournée en caméra cachée par l'association L214 en février 2016. Des images qui ont choqué une partie de l'opinion et qui servent d'appui à ceux qui militent pour une baisse de la consommation de la viande. Mais le changement d'habitude alimentaire ne date pas des vidéos chocs de L214. Les Français consomment moins de viande depuis les années 2000. Et si les vidéos révèlent des préoccupations, "elles ne sont pas la cause de cette diminution", explique à Europe1.fr Pierre Combris, directeur de recherches honoraire à l'INRA à Europe1.fr. Pourquoi les Français en consomment-ils de moins en moins ?
- Parce que la viande reste une denrée coûteuse
Après une hausse quasi continue depuis les années 1950 sous l'impulsion de la croissance économique, la consommation de viande en France a commencé à reculer à partir de 1998 où elle avait atteint un pic. Elle est passée de 94,1kg consommés par habitant (carcasse de l'animal comprise) en 1998 à 86kg en 2014, selon les chiffres de France AgriMer.
Et selon un sondage réalisé pour 60 millions de consommateurs et l'ONG GoodPlanet, 46% des personnes interrogées ont déclaré manger moins de viande "parce qu'elle coûte trop cher". Néanmoins les Français en consomment toujours mais de moindre qualité. Une contrainte économique qui "explique le succès de viandes dont le prix est relativement bas comme la volaille ou les viandes hachées", révèle Jean-François Hocquette directeur de recherches à l'INRA.
- Parce que le consommateur privilégie désormais la qualité à la quantité
Néanmoins la viande reste un aliment de plaisir pour ceux qui en mangent moins. "Le consommateur achète de la viande moins souvent, mais la choisit de qualité régulière et plus élevée" lorsqu'il en consomme, assure le chercheur. Alors pour fidéliser une clientèle qui n'est plus acquise, il faut vendre de la qualité et produire de manière éthique.
"On n'a plus affaire au consommateur lambda qui fait ses achats uniquement pour répondre à un besoin alimentaire. Désormais, on doit répondre à la demande des consommateurs-citoyens qui pensent aussi aux préoccupations sociétales lors de leurs achats. C'est le cas, par exemple, de ceux qui vont consommer plutôt des produits issus du commerce équitable", explique Marc Pagès, directeur général d'Interbev (Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes).
- Parce que le consommateur a du mal à accepter le lien entre l'animal vivant et sa forme comestible
Le rapport avec l'animal mort a changé, le consommateur cherche plutôt à le mettre à distance. "On observe une augmentation de la consommation des produits à base de viande transformée et de la volaille", détaille Olivier Lepiller, sociologue et chercheur au CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) de Montpellier. Car dans ces produits le côté animal (la forme et le sang notamment) a été gommé. Le consommateur préfère ne pas voir le lien direct entre l'animal vivant et la viande qu'il a dans son assiette.
D'ailleurs il y a de moins en moins de contacts entre la filière de l'élevage et le consommateur. "À une certaine époque, il était possible de voir tuer un animal pour le manger ensuite. Mais le lien entre le passage de l'animal vivant 'au steak' n'est plus expérimenté, d'où la nécessité de faire de la pédagogie", explique le directeur général d'Interbev. C'est pourquoi les images des vidéos de L214, qui plongent le spectateur au coeur de l'abattoir, ont paru particulièrement choquantes pour certains consommateurs.
- Parce que le consommateur a adopté un régime alimentaire plus sain
À partir des années 1980, le consommateur a commencé à recevoir des "alertes nutritionnelles, sur le cholestérol par exemple", détaille Pierre Combris, directeur de recherches honoraire de l'INRA. La consommation de viande a donc commencé à décroître, encouragée par les recommandations des autorités qui conseillaient de manger. Le consommateur a alors pris conscience de l'impact de son alimentation sur sa santé. Pour autant, le rapport de l'OMS (Organisation mondiale de la Santé) en 2015 était particulièrement alarmiste. Il affirmait que la viande transformée (comme la charcuterie ou les saucisses) était cancérogène tout comme la viande rouge qui l'était "probablement".
Pour autant, d'après les dernières recommandations de l'ANSES (Agence nationale de la Sécurité sanitaire de l'Alimentation), la consommation idéale de viande rouge serait de 500g par semaine, répartis sur un ou deux repas. Et il faut privilégier plutôt les poissons gras notamment pour leurs apports en oméga 3. Et il n'est jamais recommandé d'exclure totalement la viande de son régime alimentaire. "Tout est une question de juste mesure", nuance Jean-François Hocquette. "Manger moins de viande n'est pas bon pour la santé si on mange plus de produits gras et sucrés en remplacement. Il n'y a pas un produit qui soit mauvais en soi. Il faut seulement avoir un menu équilibré et manger des quantités raisonnables", conclut le chercheur.