Il avait promis d'"éclairer" la cour sur une nuit de terreur, il a finalement peiné à convaincre. Mis face à ses incohérences, Mohamed Abrini a maintenu mardi avoir été "prévu" pour le 13-Novembre, avant de renoncer, et d'être remplacé par Salah Abdeslam. "Vous avez raison, Monsieur le président, bas les masques !" Debout dans le box, chemise blanche, Mohamed Abrini enlève le morceau de tissu recouvrant sa fine barbe noire, semblant prêt aux révélations annoncées sept jours plus tôt.
Abrini redevable à son ami d'enfance Abaaoud
"L'homme au chapeau", qui avait abandonné son charriot d'explosifs lors des attentats de Bruxelles en mars 2016, avait laissé entendre pour la première fois qu'il avait aussi renoncé en novembre 2015. Dès le début de l'audience, il "confirme" : oui, il était "prévu" dans les commandos jihadistes qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis. Deux mois avant les attaques, explique Mohamed Abrini à la cour, son ami d'enfance Abdelhamid Abaaoud, chef opérationnel de cette tuerie de masse, lui annonce qu'il va "faire partie d'un projet". "Je ne sais pas que c'est le Bataclan, que c'est la France", s'empresse d'ajouter Mohamed Abrini.
Il ne peut "pas dire non" à cet ami dont il se sent redevable. Mais, selon le récit qu'en fait le Belge de 37 ans à la cour, il informe quelques jours avant les attentats Brahim Abdeslam, futur tueur des terrasses et aîné de Salah Abdeslam, que c'est "niet", qu'il ne le "(fera) pas". "Moi, je peux pas aller tuer des gens comme ça dans la rue (...) attaquer des gens non armés", déclare Mohamed Abrini.
"Je savais que Salah Abdeslam, jamais il le ferait"
Alors, comme il y a "un gilet explosif en plus", "une kalachnikov" en plus, Brahim Abdeslam "s'est tourné vers son frère et lui a dit : 'voilà, tu fais partie du voyage'", affirme encore l'accusé. "Je savais que Salah Abdeslam, jamais il le ferait", affirme plusieurs fois l'accusé, soutenant qu'il avait "vu la détermination dans les yeux" de tous les autres membres du commando mais pas dans les siens. La cour tente d'en savoir plus. "Vous lui demanderez" mercredi lors de son interrogatoire, balaie Mohamed Abrini.
S'il a "renoncé", pourquoi, demande le président Jean-Louis Périès - qui trouve tout cela "un peu curieux" - Mohamed Abrini participe-t-il aux ultimes préparatifs ? Pourquoi prend-il place à bord de ce qu'il qualifiera lui même de "convoi de la mort" - les trois voitures des commandos jihadistes qui partiront de Bruxelles le 12 novembre 2015 pour la région parisienne ? Pourquoi fait-il le trajet inverse, semble-t-il "à l'improviste", le soir même, en taxi ? Mohamed Abrini ne sait plus trop, il était "perdu", voulait accompagner ses amis d'enfance dans "leurs derniers moments", avance-t-il.
Pour l'accusation, il s'agit d'un désistement de dernière minute. "Moi, je vous dis, personne ne vous croit, en tout cas, moi je n'y crois pas. Ces gilets explosifs, ces kalachnikov, on les donne pas à n'importe qui !", s'emporte l'un des représentants du parquet antiterroriste, qui a "le sentiment" que les révélations de l'accusé visent simplement à "dédouaner" Salah Abdeslam.
Des incohérences dans la version d'Abrini
Méthodiquement, Nicolas Le Bris pointe les incohérences de la version de Mohamed Abrini - les clefs de chez lui qu'il n'emporte pas à Paris, cette écoute en prison au cours de laquelle Salah Abdeslam a dit en parlant d'Abrini: "'On a reçu les instructions et il a disparu'". Abdelhamid Abaaoud, si minutieux dans son organisation, se contenterait "de quelqu'un qui hésite? Ce n'est pas crédible, Monsieur. Ils vous font participer à la cellule à ce moment-là car ils ont confiance en vous", insiste l'avocat général. "C'est pas parce que j'ai dit non qu'ils baissent les bras directement", tente Mohamed Abrini. Tout en répétant: "Les rôles (de chacun), je connais pas. Le jour, je connais pas. Les cibles, je connais pas".
"On n'a pas le sentiment d'avoir appris beaucoup de choses", regrette une avocate des parties civiles, soulignant comme d'autres la "frustration" de ses clients. L'une des avocates de Mohamed Abrini, Marie Violleau, voit au contraire "un pas de géant" dans ses déclarations. Mercredi et jeudi, ce sera au tour de son ami d'enfance Salah Abdeslam de s'expliquer sur cette soirée. Lors de son premier interrogatoire sur le fond du dossier, en février, le "dixième homme" des commandos a laissé entendre qu'il avait fait "marche arrière" et renoncé à tuer le 13-Novembre.