"La France ne peut vivre continûment sous un régime d'exception qui nuit à son rayonnement", mais "la menace reste forte". Les deux déclarations du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb traduisent l'ambivalence du gouvernement, à mesure qu'approche la date de fin de l'état d'urgence, prolongé une dernière fois en juillet. Le 1er novembre, il devrait être remplacé par une loi antiterroriste, examinée par l'Assemblée nationale à partir de lundi et votée la semaine prochaine. Cette dernière prévoit de reprendre des dispositions de l'état d'urgence, plus encadrées et ciblées, d'en abandonner d'autres et d'instaurer de nouvelles mesures. Europe1.fr fait le point.
- DES MESURES MODIFIÉES
Plus de perquisitions mais des "visites". L'état d'urgence permet aux préfets de faire procéder à des perquisitions de jour comme de nuit, sans autorisation préalable d'un juge. À l'avenir, les hauts fonctionnaires devront demander l'aval du juge des libertés et de la détention du TGI de Paris pour ordonner des "visites" pouvant s'accompagner de saisies de documents ou de données, toujours à des fins de prévention du terrorisme. La personne dont le lieu est ainsi "visité" pourra être retenue pendant une durée de quatre heures. Ces procédures ne pourront concerner les domiciles et lieux de travail des avocats, magistrats et journalistes.
Des assignations dans un périmètre plus large. Selon Gérard Collomb, 39 personnes "susceptibles de porter atteinte à l'ordre public" sont toujours assignées à résidence en vertu de l'état d'urgence. La loi antiterroriste permet le recours à cette mesure, mais sur le territoire d'une commune - et plus seulement au sein d'un domicile - afin de permettre aux intéressés de poursuivre une vie familiale et professionnelle.
La personne visée devra se présenter à la police une fois par jour, contre trois fois sous le régime de l'état d'urgence, et "fournir tous ses numéros de téléphone et identifiants de communication électronique". En commission, les députés ont limité à un an la durée totale d'assignation dans un périmètre donné.
La fermeture des lieux de culte en lien avec le terrorisme. L'article 8 de la loi relative à l'état d'urgence donne la possibilité aux préfets d'ordonner la fermeture des lieux de culte "au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence, une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes". Une définition resserrée dans le projet examiné par l'Assemblée : le pouvoir de fermeture demeure, mais uniquement en cas de lien avec le terrorisme. Les motifs visent les "écrits" ou "propos tenus", mais aussi les "idées et théories" qui y seraient diffusées.
Des "périmètres de protection" aux contours encore flous. Sous état d'urgence, les préfets ont la possibilité d'instituer des "zones de protection ou de sécurité", où le séjour des personnes est "réglementé", avec, par exemple, des palpations ou des fouilles de sac. Dans le projet de loi, la localisation de ces "zones" est légèrement précisée : elles devront se situer aux abords "d'un lieu ou d'un événement soumis à un risque d'actes de terrorisme à raison de sa nature ou de l'ampleur de sa fréquentation", comme un concert ou une manifestation.
- DES MESURES ABANDONNÉES
La fin des interdictions de manifester... La mesure avait été largement utilisée lors du mouvement contre la loi Travail, pour empêcher des militants considérés comme susceptibles de commettre des violences de se joindre aux cortèges. Il ne s'agissait en fait pas d'interdictions de manifester à proprement parler, mais d'interdictions de séjour "dans tout ou partie du département, à toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics". Largement critiquée car sans lien avec le risque terroriste, elle n'est pas présente en tant que telle dans le projet de loi.
… Et des dissolutions d'associations. Pas de traces non plus de la possibilité pour le conseil en ministres de dissoudre "les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d'actes portant une atteinte grave à l'ordre public". Elle avait notamment été utilisée au printemps 2016, pour mettre fin aux activités de l'association qui gérait la mosquée "radicale" de Lagny-sur-Marne.
- DES MESURES AJOUTÉES
Une meilleure lutte contre la radicalisation. La dimension, absente du texte sur l'état d'urgence, est bien présente dans le projet de loi antiterroriste. Comme l'a annoncé Gérard Collomb début septembre, un fonctionnaire exerçant des missions de souveraineté ou un métier en lien avec la sécurité et la défense pourra être muté, voire radié, si une enquête administrative conclut à sa radicalisation. La procédure vaudra aussi pour les militaires. Les "repentis" collaborant avec la justice seront en outre davantage protégés. La révélation de leur identité d'emprunt sera incriminée, mais également "tout élément permettant leur "identification ou leur "localisation".
Des techniques de surveillance des communications. La future loi prolonge jusqu'en 2020 le recours à des algorithmes sur les réseaux de communication pour détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Elle précise en outre le cadre juridique pour procéder à des écoutes hertziennes - de toutes les communications sans fil, par exemple par Wifi, Bluetooth ou GPS - que le Conseil Constitutionnel avait censuré en octobre 2016.
Un élargissement des zones frontalières. Le projet de loi en cours de discussion par les députés institue enfin une zone de contrôle de 20 km autour de points de passage frontaliers extérieurs (aéroports, ports) dont la liste sera établie par arrêté. Plusieurs associations craignent que cette mesure, sous couvert de lutte contre le terrorisme, vise à lutter contre l'immigration clandestine, les contrôles d'identité pouvant être réalisés sans justification dans les zones considérées comme "frontalières".