Deux voitures de police transformées en boules de feu, incendiées par des cocktails Molotov. Les images de l'agression commise à Viry-Châtillon, dans l'Essonne, en octobre 2016, avaient fait le tour des chaînes de télévision et des réseaux sociaux. Trois ans plus tard, cinq des treize jeunes accusés d'avoir participé aux faits ont été relaxés par la cour d'assises des mineurs en 2019 - quatre avaient moins de 18 ans au moment des faits. Les autres ont été condamnés à des peines allant de 10 à 20 ans pour tentative de meurtre - bien en-deçà des réquisitions. Alors que s'ouvre le procès en appel, qui doit durer six semaines à Paris, Europe 1 s'est rendue dans le quartier de la Grande Borne, où tout a commencé, et où la situation n'a pas vraiment changé.
"Énormément" de policiers très jeunes
La caméra qui a filmé la scène est toujours là, solidement fixée à un lampadaire, lui-même entouré de blocs de béton. Des plaques coupantes de métal ont même été soudées afin d'empêcher quiconque de grimper. À quelques mètres de là, Karim avale un kebab avant de retourner travailler. "Ils ont renforcé un peu plus la police", affirme le jeune père de famille, qui vit au cœur de la Grande Borne. "Mais c'est des policiers qui sont jeunes, qui ont quasiment le même âge que certains jeunes qu'ils contrôlent. Ils sont là, en mode : 'qu'est ce que tu vas faire ?', avec des insultes."
"On a énormément de jeunes fonctionnaires", abonde Christian Toussaint du Wast, du syndicat Alliance dans l'Essonne. "L'administration n'arrive pas à fidéliser les plus anciens, qui préfèrent parfois partir en province. Parce que même si les conditions de travail ne sont pas forcément meilleures, au moins, ils sont plus chez eux et dans un contexte un peu moins belliqueux, guerrier et vindicatif que ce qu'on peut avoir sur le territoire de l'Essonne." Alliance estime qu'il manque ainsi environ 250 policiers dans tout le département, surtout des cadres et des gradés.
"Des questions obsédantes" pour les victimes
Ces policiers très jeunes font face à un climat de violence quotidien, exposé lors du procès en première instance. "On a vraiment eu une photo de ce que c'est que le poids du silence, l'omerta, la force des bandes, la pesanteur dans les quartiers", se souvient au micro d'Europe 1 Me Thibault de Montbrial. Si la situation n'a pas changé à la Grande-Borne, l'avocat de Jenny, une policière blessée aux mains et au visage, espère que "le temps passé" a pu "fissurer" cette omerta.
Pour sa cliente, "l'attente impossible, c'est de savoir pourquoi", poursuit l'avocat". Pourquoi des jeunes, dont certains étaient mineurs, ont été brûler des policiers dans une voiture, les ont bloqués alors qu'ils étaient en train de brûler à l'intérieur, les ont ensuite rebrûlés - puisqu'il y a un policier qui a pris un cocktail Molotov alors qu'il brûlait déjà et qu'il sortait de la voiture -, et ensuite, les ont caillassés ? Qu'est ce qui peut justifier que des jeunes d'un quartier viennent s'en prendre ainsi aux policiers? Ce sont des questions obsédantes au quotidien."
"On évite d'en parler parce qu'on n'a pas envie de remuer le couteau dans la plaie", témoigne de son côté Philippe, collègue et ami d'un autre policier, grièvement brûlé dans l'attaque. "Régulièrement, c'est opération de reconstruction sur opération de reconstruction. (…) Il ne peut pas reprendre son activité pour le moment."