"L'audition a été avancée pour qu'elle se déroule dans des conditions de sérénité", a simplement expliqué l'avocat de François Fillon, Me Antonin Levy, mardi. Attendue mercredi matin, la convocation de son client, soupçonné d'avoir fictivement employé sa femme et ses enfants en tant qu'attachés parlementaires, a été avancée de 24 heures. À l'issue de son entrevue avec les juges d'instruction en charge du dossier, le candidat LR a été mis en examen pour détournement de fonds publics, complicité et recel d'abus de biens sociaux et manquement à ses obligations de déclaration à la Haute autorité de la vie publique.
- Que signifie cette mise en examen ?
Une personne est mise en examen dans un dossier si des "indices graves ou concordants" la mettent en cause. Après avoir reçu François Fillon, qui a refusé de répondre à leurs questions mais leur a fait une déclaration rendue publique par le Figaro, les magistrats instructeurs Serge Tournaire, Aude Buresi et Stéphanie Tacheau ont estimé que c'était le cas. Ils n'ont pas retenu l'option qui consistait à placer le candidat LR sous le statut plus favorable de "témoin assisté", comme ce fut le cas en avril 2015 pour Nicolas Sarkozy, dans le dossier des pénalités réglées par l'UMP pour le dépassement de ses dépenses de campagne de 2012.
Les chefs d'accusation de "détournement de fonds publics" et "complicité et recel d'abus de biens sociaux" concernent a priori les soupçons d'emplois fictifs de Penelope, Charles et Marie Fillon, respectivement en tant qu'attachés parlementaires et employée de la Revue des Deux Mondes. Le manquement aux obligations déclaratives pourrait, lui, concerner le prêt de 50.000 euros obtenu par François Fillon auprès de l'homme d'affaires Marc Ladreit de Lacharrière, absent de sa déclaration de patrimoine. Le "trafic d'influence" n'a en revanche pas été retenu par les juges.
À noter que, même mis en examen, le député de Paris reste présumé innocent jusqu'à une éventuelle condamnation et qu'aucune mesure coercitive ne pourra être prise à son encontre (mandat d'amener, garde à vue, détention provisoire...) sans la levée préalable de son immunité parlementaire par l'Assemblée nationale.
- François Fillon peut-il rester candidat à l'élection présidentielle ?
Juridiquement, rien n'empêche un candidat mis en examen de concourir à l'élection présidentielle. En janvier, après les premières révélations du Canard Enchaîné, François Fillon avait annoncé qu'il renoncerait si tel était son cas. Il a depuis changé d'avis, affirmant s'en remettra au "seul jugement du suffrage universel". L'hypothèse d'un abandon apparaît désormais d'autant moins crédible que la date limite pour le dépôt des parrainages au Conseil constitutionnel est fixée au 17 mars. Un renoncement de François Fillon à ce stade laisserait donc très probablement les Républicains sans candidat à la présidence de la République. Son maintien annoncé fait de lui le premier prétendant sérieux à l'Elysée à concourir avec le poids d'une mise en examen sur les épaules.
- Pourra-t-il être entendu par les juges pendant la campagne ?
Dans le jargon judiciaire, l'audition de mardi s'appelle une interrogation de première comparution (IPC), une étape procédurale souvent formelle, les juges reportant les interrogatoires plus serrés à des auditions ultérieures. Cette audition était d'ailleurs déjà terminée mardi après-midi, lorsque le candidat LR s'est exprimé devant la Fédération nationale des chasseurs.
Est-il alors possible que François Fillon soit à nouveau convoqué avant l'élection présidentielle ? Au cours de leur enquête, il est plus que vraisemblable que les juges d'instruction demandent à entendre à nouveau le député de Paris. En l'absence de texte prévoyant une "trêve judiciaire" en période électorale, rien n'interdit aux magistrats de procéder à une audition avant la fin de la campagne. Mais il est important de noter que dans le cadre d'une information judiciaire, les investigations durent en moyenne 30 mois, selon l'annuaire statistique du ministère de la Justice. Le premier tour de l'élection présidentielle, interviendra, lui, dans une quarantaine de jours.
Si François Fillon est élu Président, il bénéficiera en outre de l'immunité constitutionnelle attachée à cette fonction : l'enquête judiciaire sera alors gelée pendant la durée de son mandat, comme cela a été le cas pour Jacques Chirac dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Mais ce ne sera pas le cas pour son épouse Penelope et leurs deux enfants, également visés par l'enquête.
- Peut-il contester les "irrégularités" de la procédure ?
Même si le candidat LR n'accède pas à l'Elysée, le déroulé de la procédure pourrait se voir ralenti. Après avoir pu prendre connaissance de l'enquête du parquet national financier depuis l'ouverture d'une information judiciaire, les avocats de François Fillon disposent, maintenant qu'il est mis en examen, d'un nouveau droit : celui de faire appel devant la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris, qui contrôle le travail des juges. Ils pourront par exemple demander la nullité d'un acte d'enquête, ou de la mise en examen en elle-même.