Une "atteinte grave" et "manifestement illégale" aux libertés fondamentales. C'est notamment en ces termes que le Conseil d'Etat, vendredi, a étayé sa suspension de l'arrêté "anti-burkini" de Villeneuve-Loubet, dans les Alpes-Maritimes. Rappelant, dans son ordonnance, les maires au "respect des libertés garanties par les lois", la haute cour administrative porte ainsi un véritable coup d'arrêt à la trentaine d'arrêtés "anti-burkini" ayant fleuri depuis fin juillet, suscitant une vive polémique nationale.
Que dit le Conseil d'Etat ? La plus haute juridiction administrative française rappelle dans son ordonnance qu'une restriction de l'accès aux plages ne pouvait être justifiée qu'en cas de "risques avérés" pour l'ordre public. Or, le Conseil d'Etat juge que la municipalité de Villeneuve-Loubet n'a pas apporté la preuve que l'ordre public était menacé sur ses plages. Dans ces conditions, l'arrêté litigieux porte "une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et de venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle", souligne l'ordonnance.
Le Conseil d'Etat insiste également dans son ordonnance, à l'adresse de tous les maires ayant pris un arrêté du même type : "Si le maire est chargé [...] du maintien de l'ordre dans la commune, il doit concilier l'accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois". Le Conseil d'Etat souligne qu'une restriction de l'accès aux plages ne peut être justifiée qu'en cas de "risques avérés" pour l'ordre public.
Qu'implique cette décision ? Dans les faits, "les policiers ne peuvent plus verbaliser", a réagi Me Olivier Suarès, avocat niçois de la commune de Villeneuve-Loubet. Quant aux femmes ayant été verbalisées, elles "pourront, si elles le veulent, contester leur verbalisation puisque le fondement de cette verbalisation était manifestement contraire aux libertés fondamentales", a indiqué Me Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l'homme (LDH), qui avait saisi le Conseil d'Etat en raison du caractère "liberticide" de l'arrêté.
Vaut-elle seulement pour Villeneuve-Loubet ? Si la plus haute juridiction française s'est prononcée sur l'arrêté pris par la commune de Villeneuve-Loubet - et l'a suspendu - cette décision devrait en réalité avoir "vocation à faire jurisprudence", espère Me Spinosi. "La position du Conseil d'Etat est très ferme, très claire, elle fait jurisprudence", abonde Emmanuel Dockès, professeur de droit à l'université Paris-Ouest Nanterre. "Si la question était de nouveau portée devant un tribunal administratif pour d'autres arrêtés contestés en justice, on voit mal le tribunal dire le contraire du Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative française", explique-t-il.
Dans un communiqué, la LDH a appelé tous les maires à abandonner d'eux-mêmes ces textes controversés. Mais cela n'ira pas de soi : certaines villes, comme celles de Nice ou Sisco, où le maire avait pris un arrêté au lendemain d'une violente rixe, ont déjà annoncé qu'elles maintenaient leurs arrêtés. "Si les maires des communes concernées maintiennent leurs arrêtés, la question de savoir s'ils sont dans l'illégalité ou non est désormais tranchée", conclut toutefois Emmanuel Dockès.
Pourquoi parle-t-on de suspension et non d'annulation ?
"Dans certains cas particuliers, on considère qu'il y a une urgence à se prononcer, notamment lorsqu'il y a une atteinte aux libertés fondamentales", décrypte auprès d'Europe 1 Emmanuel Dockès, professeur de droit à l'université Paris-Ouest Nanterre. Dans ces cas-là, la juridiction saisie en référé prend une décision de façon très rapide. "L'affirmation d'une suspension est largement aussi forte qu'une annulation ici, puisqu'on est dans l'affirmation du caractère 'manifestement' attentatoire aux libertés fondamentales dans cet arrêté", développe-t-il.