Twitter avait-il le droit de suspendre indéfiniment le compte du président de la première puissance mondiale Donald Trump - même si son mandat touche à sa fin ? Le débat fait rage depuis la décision du réseau social - imitée par Facebook -, après l'intrusion de militants refusant le résultat de la présidentielle américaine au Capitole, la semaine dernière. Pour l'écrivain et professeur de philosophie Raphaël Enthoven, la question n'a pas lieu d'être dès lors que le chef d'Etat a lui-même appelé à la violence.
"Le problème, c'est le tweet où il appelle à l'insurrection"
"Je ne vois rien de choquant dans le fait qu'un réseau social se prive de la parole d'un séditieux, d'un voyou, d'un type appelle à l'insurrection, qui est un pompier pyromane", lance le philosophe au micro d'Europe 1. "Ils font ce qu'ils veulent, en particulier quand il s'agit d'un appel à l'insurrection qui a fait cinq morts et qui ébranle une démocratie." Car pour Raphaël Enthoven, Twitter n'est ni "un droit", ni "un service public". "C'est une entreprise privée avec des règles, avec une charte, qui est parfaitement fondée, à mon avis, à exclure celui qui ne les respecte pas." En d'autres termes, "Twitter ne doit rien à ceux qui s'y expriment".
Pour l'écrivain, l'argument est d'autant plus valable que "Trump n'a jamais tweeté en qualité de président" - il n'a pas investi le compte officiel "President of the United States" (@Potus), préférant conserver les abonnés de son compte personnel. "Il s'est toujours vu comme un individu nanti de pouvoirs nouveaux par le scrutin des Américains, mais en aucune façon il n'a incarné cette fonction." Ce n'est donc pas le compte du président mais celui de l'individu qui a été suspendu, aux yeux de Raphaël Enthoven. Et ce pour une raison précise : "Le problème de Trump, ce ne sont pas les fake news, les contrevérités, les théories du complot qu'il a diffusées abondamment pendant quatre ans. Le problème, c'est le tweet où il appelle à l'insurrection."
"On est déformé par les réseaux sociaux"
Et le philosophe de souligner que "les chevaliers de la liberté d'expression sont en général soit des gens qui adhèrent aux propos de Trump et qui défendent la liberté d'expression de celui qui est d'accord avec eux, soit des gens qui se donnent le beau rôle en disant : 'Je n'aime pas Trump, mais enfin, tout le monde a le droit de s'exprimer'." Des prises de positions que Raphaël Enthoven balaye, toujours pour la même raison : on a affaire à une entreprise privée. "Twitter n'est pas un Etat qu'on pourrait évaluer de cette façon-là ou juger de cette façon-là. Ceci n'est pas un exercice de censure. Il faut s'entendre sur les mots : la censure, elle est verticale, elle vient de la loi."
Le philosophe estime donc que les réflexions à mener sont ailleurs, et notamment dans l'interrogation du "désir identitaire" flatté par les réseaux sociaux. "Cela donne un paradoxe extraordinaire : sur Twitter, on dit que toutes les opinions sont libres et que le débat est ouvert, alors qu'en réalité, il n'y a jamais de débat. Le réflexe des gens qui s'y trouvent est un réflexe moutonnier, c'est-à-dire qu'au bout d'un moment, même quand on est prévenu contre ça, on se tourne vers les gens qui pensent comme soi. De sorte qu'on est plus informé. On est déformé par les réseaux sociaux et ça, c'est un problème, pour le coup, de pédagogie."
Quant aux messages véhiculant des appels à des faits condamnés par la loi, leur interdiction et la suspension des comptes qui les ont publiés doit être systématique, tranche Raphaël Enthoven pour clore le débat. "Il est absolument urgent que les réseaux sociaux se conduisent en éditeurs", estime-t-il. "Ce ne sont pas des hébergeurs, ils sont responsables du contenu qu'ils publient. Twitter est un média, c'est à dire un intermédiaire. (…) C'est un média qui doit donc appliquer des règles. L'enjeu ici, c'est de transformer les réseaux sociaux en filtres qui ne laissent pas tout passer."