Les trois quarts de l'environnement terrestre "gravement altérés", les deux tiers de l'environnement marin touchés, un tiers de la couverture forestière de la Terre disparu depuis l'ère pré-industrielle, une pollution au platique multipliée par dix depuis 1980 et ce chiffre des espèces menacées de disparition, estimées à un million, sur les huit que compte notre planète… Le rapport du groupe d'experts de l'ONU sur la biodiversité, rendu public lundi, et dont un projet de synthèse avait émergé il y a quelques jours, est alarmiste.
Et le constat qu'il dresse rejoint ce que de nombreux scientifiques décrivent depuis longtemps : le risque d'une sixième "extinction de masse" (terme non repris dans le rapport), la première dont l'homme serait à l'origine, mais aussi la première… qu'il pourrait stopper. Dès lors, une question se pose à tous : que faire ?
Notre système agroalimentaire en question
Ce texte, sur lequel ont travaillé 450 experts pendant trois ans au sein de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui regroupe 132 pays, liste les cinq principaux coupables des risques encourus par la biodiversité. Les voici, du moins au plus impactant : les espèces envahissantes, les pollutions, le changement climatique, l'exploitation directe des ressources (pêche, chasse) et, cause principale, l'utilisation des terres (agriculture, déforestation).
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En une cinquantaine d'années, la production agricole mondiale a triplé. Certes, la population mondiale a elle aussi augmenté, mais, depuis 1980, la consommation par habitant de ressources naturelles a progressé de 15% en moyenne à l'échelle du globe, avec d'énormes disparités géographiques, d'un continent à un autre. Le rapport préconise ainsi une transformation de la production agricole (agro-écologie, limitation des pesticides, diversification des cultures, meilleure gestion de l'eau), mais aussi des habitudes de consommation (régime alimentaire, gaspillage).
"Nous saluons l'appel (lancé dans le rapport) à un changement des régimes alimentaires, vers une nourriture plus basée sur les végétaux pour réduire la consommation de viande et de produits laitiers, qui a des impacts négatifs bien connus sur la biodiversité, le changement climatique et la santé humaine", a commenté Éric Darier, de Greenpeace, à l'AFP.
La consommation de viande est pointée comme un enjeu décisif par de nombreux acteurs. Sa production est synonyme d'émission de gaz à effet de serre (notamment pour les viandes rouges comme l'agneau ou le boeuf) et elle est très gourmande en eau, en céréales (et donc en pesticides), en terres et en engrais, nécessaires pour nourrir et élever les animaux. "La priorité devrait être de promouvoir, à l’échelle de la planète, un régime alimentaire réduisant la part des produits animaux, viande et poisson. Mais aussi moins riche en graisses et en sucres, dont la production, par les plantations de palmiers à huile, de betteraves ou de cannes à sucre, accapare elle aussi des terres", souligne dans le quotidien Le Monde Yann Laurans, directeur du programme biodiversité de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Même si les scientifiques insistent sur le fait que la viande a plus d'impact que d'autres produits alimentaires, la synthèse adoptée par les délégations samedi n'appelle pas directement à manger moins de viande. La formulation a été modifiée depuis la version préliminaire du texte, peut-être le signe de l'hostilité de certains pays producteurs.
Le volontarisme politique à l'épreuve
"Il faut une mobilisation citoyenne mais il faut aussi que les réglementations suivent et que l'État fixe un certain nombre d'objectifs", rappelait lundi matin sur notre antenne Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), qui a pointé du doigt également les "options d'agriculture intensive basée sur des transports un peu inconsidérés".
Interrogé dans les colonnes du quotidien Ouest-France, l'un des principaux auteurs du texte de l'IPBES, Paul Leadley, directeur du laboratoire d'écologie, systématique et évolution à l'Université Paris-Sud, cite un exemple de volontarisme politique : "La déforestation au Brésil, qui était très élevée en 2000, a beaucoup diminué, grâce au gouvernement et aux entreprises qui semblaient avoir eu une prise de conscience. On a même pu parler d’arrêt de la déforestation. Depuis l’installation du nouveau gouvernement (du président Jair Bolsonaro), elle est repartie de plus belle…"
La lutte pour la biodiversité est soumise aux aléas de la politique, aux changements de gouvernement, mais aussi aux engagements non tenus… "Les grands accords internationaux ne suffisent pas si leur mise en œuvre fait défaut, comme c'est aujourd'hui le cas", se désole Yann Laurans dans Le Monde. "Les textes, lois, directives sur la biodiversité sont déjà nombreux. Ce qui manque, c'est leur traduction concrète, dans les politiques agricoles, forestières, de transports d'aménagement urbain…"
Comme le rapport, l'économiste insiste également sur la défense du "droit" des peuples autochtones, les plus à mêmes d'assurer la biodiversité selon lui de par leurs connaissances du milieu naturel. Mais ce terme de "droits" a disparu du texte final du rapport pour ceux, moins forts et moins engagés politiquement, de "pratiques", d'"institutions" et de "valeurs"…
Un constat, pas de prescriptions
Constat tout à la fois philosophique et pratique, le rapport de l'IPBES dévoilé lundi évoque plusieurs outils à disposition des gouvernements pour améliorer le caractère "durable" du système économique, comme des quotas de pêche "efficaces" ou une réforme des aides publiques et de la fiscalité. Il liste des "leviers" d'action, des "incitations", des "suivis" ou des "mesures". Mais il n'a, in fine, aucun caractère contraignant sur les États.
Autre limite : le rapport ne cite pas d'objectif précis, contrairement à ce qui se passe dans la lutte contre le réchauffement climatique, par exemple, où l'objectif d'une limitation de la hausse à 2°C avait été conclu lors de la COP21 à Paris, en 2015. Pour autant, et sans doute conscients de la puissance et du symbole des chiffres, les instigateurs du texte mettent en avant ce million d'espèces menacées (qui correspond à une fourchette haute) et ambitionne une Terre gérée "à 50%" de façon durable d'ici 2030.
Reste à voir maintenant si les États membres de la Convention de l'ONU sur la diversité biologique (COP15) se fixeront lors de leur réunion, fin 2020, à Kunming, en Chine, les objectifs ambitieux espérés par les défenseurs de l'environnement pour une planète durable en 2050.
Macron annonce une série d'actions pour l'écologie
Lundi soir, après avoir reçu à l'Élysée les experts de l'ONU sur la biodiversité (IPBES), Emmanuel Macron a annoncé plusieurs actions en matière d'écologie : il a d'abord renouvelé les objectifs de 100% de plastique recyclé d'ici 2025 et de réduction de moitié de l'utilisation des produits phytosanitaires d'ici la même année. Le chef de l'État s'est dit favorable à une réorientation des financements de la PAC (Politique agricole commune) vers des productions plus durables. Il a aussi remis en cause le projet de "Montagne d'or" en Guyane.