"Un système d'État" : comment la police a fermé les yeux sur un important trafic de drogue

Emmanuel Fansten
Dans son livre, le journaliste Emmanuel Fansten a mis à nu une face sombre de la lutte antidrogue.
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Ugo Pascolo
Invité d'Europe Soir, Emmanuel Fansten, journaliste au pôle enquête de "Libération" et auteur de "Trafics d’Etat, enquête sur les dérives de la lutte anti-drogue", explique comment une partie de la police a recruté un important trafiquant de drogue dans les années 2010 et lui a ouvert les frontières franco-espagnoles.
INTERVIEW

C'est un livre choc qui met à nu les dérives de la lutte antidrogue en France. Emmanuel Fansten, journaliste au service police-justice du journal Libération, publie Trafics d’Etat, enquête sur les dérives de la lutte antidrogue. Un ouvrage sous forme d'enquête qui montre comment une partie de la police française a favorisé le transit de tonnes de drogue entre l'Espagne et la France pendant des années. Invité d'Europe Soir, le reporter raconte comment il a pu mettre à jour ce qu'il appelle "un système d'État". 

Une saisie record de 7 tonnes de cannabis...

Tout commence le 18 octobre 2015, lorsque les forces de l'ordre saisissent 7 tonnes de cannabis dans le 16e arrondissement de la capitale, un record. Durant ce coup de filet, un suspect est interpellé : Sofiane Hambli, trafiquant à la renommée internationale. Or cet homme est également le principal indic de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (Octis). Un informateur bien connu des stups, puisqu'il a été recruté par le chef de l'Octis en personne à l'époque, François Thierry. "À cette époque, Sofiane Hambli est incarcéré en Espagne, et François Thierry va le voir en prison pour passer un accord", raconte Emmanuel Fansten.

Le policier obtient ainsi une remise de peine et l'extradition vers la France de Sofiane Hambli en échange d'informations, mais aussi dans l'optique d'en faire un informateur à long terme. Si avoir des indics est une pratique courante pour l'Octis, ici Sofiane Hambli va avoir un rôle actif et être placé au cœur d'une véritable stratégie qui consistait à laisser passer la drogue pour remonter les filières. "Il y a une technique légale, les livraisons surveillées, qui permet à ces services sous contrôle d'un magistrat" de le faire. Or, dans cette affaire, "les policiers se sont affranchis des règles", affirment Emmanuel Fansten. "Grâce à ses bienfaiteurs, Sofiane Hambli avait les frontières ouvertes et pouvait faire son business."

... qui cache un système opaque

Le livre du journaliste n'est pas une attaque contre François Thierry, le chef des stups d'alors, mais dénonce bel et bien un véritable système, d'où le titre de son ouvrage. "Il y avait évidemment des policiers au-dessus dans la hiérarchie [de François Thierry] qui était au courant, notamment dans la direction centrale de la police judiciaire." Reste que c'est ce dernier qui a vu s'ouvrir à son encontre deux enquêtes pour "complicité de trafic international de stupéfiants, association de malfaiteurs et complicité de faux en écriture publique", rappelle le journaliste. En 6 ans, Emmanuel Fansten estime que ce sont des dizaines de tonnes de produits qui ont été importées en France. 

Mais pourquoi mettre en place un tel système et "franchir la ligne" ? Emmanuel Fansten pointe un lien avec "une certaine politique du chiffre" du gouvernement. "Ça a l'avantage de permettre aux différents ministres de l'Intérieur qui se sont succédés de poser aux côtés d'importantes saisies", fait-il valoir, en rappelant qu'il s'agit "d'une arme de communication politique très importante". Pour autant, le journaliste affirme que le bénéfice de cette méthode "est bien moindre que les inconvénients".