Alors que le mouvement #MeToo, lancé sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violentes faîtes aux femmes après l’affaire Weinstein, souffle sa première bougie, l’Académie des Nobel a décidé de marquer le coup. La Yazidie Nadia Murad, ex-esclave de Daech, et le docteur Denis Mukwege, gynécologue au Congo, ont reçu vendredi le prix Nobel de la paix, "pour leurs efforts pour mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'arme de guerre". Europe 1 les avait reçu tous les deux séparément, à quelques années d’écart. Ils nous racontaient alors l’urgence d’agir pour la protection des victimes de viols dans le monde.
Nadia Murad Basee Taha : "S’il n’y a pas d’humanité, Daech va s’étendre davantage"
Nadia Murad Basee Taha, 21 ans, est devenue en quelques années l'une des voix de la lutte contre Daech. La jeune Yézidie, qui a été détenue et violée pendant trois mois par l'organisation terroriste, parcourt aujourd’hui la planète pour relater sa terrible expérience et alerter le monde sur l’horreur de l’esclavage sexuel. De passage en France, elle racontait son histoire dans la Matinale d'Europe 1 en février 2016.
Tout a débuté en août 2014, en Irak, à Sinjar, où elle vivait avec sa famille lorsque l’Etat islamique s’est emparé de la ville. "Ils nous ont rassemblé, à peu près 1.700 personnes, et ils ont tué les hommes", racontait-elle au micro d'Europe 1. "Ils ont emporté les filles et les enfants... Mais le moment le plus dur que j’ai vécu avec Daech, c’était le premier jour, quand ils ont tué six de mes frères et qu'ils ont également tué ma mère."
Les membres de Daech, qui poursuivent les Yézidis en raison de leur foi (un monothéisme teinté d’islam qui plonge ses racines dans l’Iran antique), veulent alors la convertir de force. Pour eux, Nadia Murad Basee Taha et les autres femmes yézidies ne sont qu'une marchandise. Elles sont "réparties" entre les combattants, qui les "louent" à d'autres hommes. "C’est ainsi que les viols continuaient et ne cessaient jamais. Ils ont emporté les filles yézidies pour en faire des esclaves sexuelles", résumait-elle sur Europe 1.
La jeune fille s'enfuit lors des premiers jours de sa captivité, avant d'être rattrapée, enfermée et violée à de nombreuses reprises par ses gardiens. "J'avais peur de fuir à nouveau." Vendu à un nouvel homme, Nadia Murad Basee Taha réussit à prendre la fuite, pour de bon cette fois-ci, tandis que celui-ci était parti acheter de quoi l’habiller de manière "présentable". Des amis musulmans l'accueillent alors et l'aident à quitter l'Irak. Elle s’installera en Allemagne, avant de devenir ambassadrice des Nations Unies pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains.
Au micro d’Europe 1 comme lors de toutes ses interventions depuis son évasion, elle a adressé un message à tous ceux qui pourraient être tentés de rejoindre les rangs de l'organisation Etat islamique. "Je leur demande de ne pas s’allier à Daech, car Daech est fondé sur le viol, Daech est fondé sur le massacre". "Je leur dis que si Daech s’était comporté en humain, je ne serais pas ici à témoigner et leur dire qu’ils ont tué six de mes frères et ma mère. Daech est fondé sur l’assassinat et tous ceux qui ont une conscience devraient lutter contre elle." Elle estime que l'union est indispensable face à cette menace. "Je suis persuadée que si le monde peut s’unir, nous allons connaître une victoire contre Daech. S’il n’y a pas d’humanité, Daech va s’étendre davantage."
Denis Mukwege : "le viol fait beaucoup plus de dégâts que les armes conventionnelles"
Chercheur et praticien mondialement reconnu en gynécologie, ce Congolais de 63 ans aurait pu mener une brillante carrière au sein d’une université ou d’un hôpital prestigieux. Mais Denis Mukwege décide plutôt de s’installer à Panzi, dans son pays natal, où il créé en 1999 un hôpital destiné à soigner les femmes victimes de viols. En juin 2014, il racontait au micro d’Europe 1 "l’horreur" des actes commis dans son pays : le viol, devenu "épidémie volontaire", sert de moyen de pression, "d’arme de guerre", pour un certain nombre de milices militaires à l’œuvre au Congo.
"Quand je vois le viol d'un bébé de 18 mois, je me dis que même les animaux ne font pas ça. Il y a quelque chose qui dépasse l'entendement", déplorait-il au micro d’Europe 1. "J'ai aujourd'hui l'impression que le viol fait beaucoup plus de dégâts que les armes conventionnelles", résumait encore le médecin. Et d’enchaîner : "Lorsque la famille est détruite à la suite d'un viol collectif, pour reconstruire cette famille, ça prend énormément de temps avec des résultats aléatoires".
Constamment menacé de mort de son pays, le médecin a tenu bon. Il a mis au point une technique mondialement reconnue pour aider les victimes de viols à se reconstruire. Sur le plan médical, il a été récompensé en tant que spécialiste international du traitement des fistules, des malformations anales ou vaginales que peut causer un viol. Aussi, il a su mettre en place une méthode d’accompagnement psychologique qui, à en croire les témoignages de ses patientes et de ses pairs, a fait ses preuves.
"Ces viols sont des actes déshumanisants, qui se posent dans le but de détruire le psychisme des victimes et de leur communauté. On s'est rendu compte que le traitement physique ne suffisait pas", expliquait-il, en septembre 2017 cette fois, au micro d’Europe 1. Il en appelait alors à une réponse internationale face à la barbarie que constituent les viols de guerre. "Je pense que la justice internationale peut identifier les commanditaires et les auteurs. Je pense qu’il y a la possibilité de poursuivre les chefs de ces groupes. Et je pense que les pays qui n'arrivent pas à protéger les femmes devraient répondre de leurs actes". Un an plus tard, ce prix Nobel viendra peut-être appuyer son propos. Et l’aider à avoir la résonance internationale qu’il mérite.