Après des semaines d’attente, sa décision est enfin tombée. "J'ai décidé de rester" à l’Atlético de Madrid, a lâché Antoine Griezmann, jeudi soir, à la fin d'une vidéo d'environ 30 minutes diffusée en prime-time et en exclusivité par une chaîne payante espagnole. Plus que le fond, c’est bien la forme qui surprend. Au moins autant qu’elle agace. Et cela, des deux côtés des Pyrénées.
Une communication savamment orchestrée. Il s'était engagé à régler son avenir avant son entrée en lice en Coupe du monde avec l'équipe de France. Mardi, en Russie, "Grizi" avait finalement évacué la question, assurant à tout son monde que "la décision a été prise" mais que ce n'était "pas le moment ni l'endroit pour le dire". Une façon de mieux se concentrer sur les Bleus ? Pas vraiment. Plus que sportive, la manœuvre était finalement commerciale.
À l'origine de ce coup de com', Gérard Piqué. C'est en effet la société du défenseur barcelonais, Kosmos, qui a produit le fameux documentaire vendu à Movistar. Le Français a fait le reste. Dans une vidéo diffusée dans l'après-midi sur le compte Twitter de la chaîne Cero de Movistar+, qui a donc obtenu l'exclusivité de l'annonce, il a lui-même servi le "teasing" : "Vous en avez un peu marre des commentaires qui disent que je m'en vais, que je reste, combien ils vont me donner... La vérité, c'est ce que je vais dire maintenant". Maintenant, ou plutôt à 21h15, le temps de faire chauffer les pop-corns… L'annonce avait pourtant été enregistrée avant le départ des Bleus pour la Russie.
para ver esta noche #LaDecisión de @AntoGriezmann en @cerohttps://t.co/pi0UI3NT6M
— Gerard Piqué (@3gerardpique) 14 juin 2018
"On n'est presque plus dans le sport. On a basculé dans l'entertainment (divertissement, ndlr), en utilisant les mêmes codes qu'un Star Wars", ironise auprès de l'AFP le directeur général de l'agence de conseil et communication Sport Market, Bruno Bianzina.
Une mise en scène gênante. Et ce fameux film, alors ? Digne d'une émission de télé-réalité. Suivi par les caméras depuis le 16 avril, dans sa luxueuse villa de la banlieue de Madrid, chez ses parents en France, avec sa fille, en train de se faire tatouer, "Grizi" évoque ses états d'âme pendant une trentaine minutes. Face caméra et rap en bande-son, avec quelques plans clairement surjoués.
Le joueur de 27 ans confie son hésitation entre gagner une Ligue des Champions avec l'Atlético, pour rentrer "dans l'histoire du club", ou n'être qu'un champion parmi d'autres au Barça. Avant de mettre fin au suspense, à 21h47, à la télé comme sur les réseaux sociaux.
Mi afición, mi equipo, MI CASA! @atleti ⚪
— Antoine Griezmann (@AntoGriezmann) 14 juin 2018
Mes supporters, mon équipe, MA MAISON ! @AtletiFR ⚪
My fans, my team, MY HOME!!! @atletienglish ⚪ pic.twitter.com/ByD8Cju5Yb
Avec ce mot-clé lancinant, dégainé dès la bande-annonce : #LaDecision. Une référence non masquée au basketteur américain, LeBron James, que Griezmann affectionne tant, et qui avait annoncé en 2010, dans une émission spéciale sur ESPN, son départ des Cavaliers de Cleveland pour le Miami Heat. À l'époque déjà, la méthode avait été sévèrement critiquée.
Critiques à tout-va. Avec ce choix, Griezmann avait l'occasion de passer pour un joueur simple, voire romantique, qui préfère la fidélité à la facilité d'aller au Barça pour gagner des titres. À en croire les nombreuses réactions négatives, ce n'est pas vraiment l'effet obtenu. Côté français, c'est surtout le timing qui interpelle, à deux jours de son entrée en Coupe du monde, samedi face à l'Australie.
Donc Griezmann annonce son choix ce soir à l’issue d’un documentaire de 52 Minutes produit par Pique. À deux jours du 1er Match. Ça ne choque que moi?
— Pierre Ménès (@PierreMenes) 14 juin 2018
Je suis choqué de la manière avec laquelle #Griezmann agit, de manière totalement individualiste. Il utilise les Bleus, le contexte pour raconter sa propre histoire, là où on attend de lui qu'il relève d'un défi collectif. Heureusement qu'il est le petit chouchou.. #CDM2018
— Bertrand Latour (@LatourBertrand) 14 juin 2018
A deux jours de la Coupe du monde, faire ça, faut vraiment être complètement déconnecté, ou immatures, ou inconscients, ou les trois. #Griezmann
— Julien Ricotta (@julienricotta) 14 juin 2018
Guy Roux s'énerve sur le cas @AntoGriezmann !
— L'ÉQUIPE du soir (@lequipedusoir) 14 juin 2018
"Savez-vous que dans 48 heures, on joue un match international ? On ne doit penser qu'au match ! La petite situation de Griezmann, on n'en a rien à foutre !" ⚡
Réagissez avec #EDSpic.twitter.com/Vqc8Y6fEQg
Côté espagnol, cette mise en scène a aussi été considérée comme un manque de respect pour les supporters de l'Atlético. Selon la radio Cope, Antoine Griezmann a même tourné deux versions finales : une où il indique qu'il reste à l'Atlético, une autre où il annonce son départ…
C´est clair que de sympa, Griezmann est passé d´antipathique avec un énorme melon, qui s´est pris pour LeBron James (qui n´avait même pas fait de doc).
— François David (@bcnFD) 14 juin 2018
Il s´est quand même foutu du Barça, de l´Atletico (pré contrat avec le Barça), des fans, avec l´appui de... Piqué. Ouf
Reste à savoir si le Français sera capable de se remettre le peuple "rojiblanco" dans la poche. Sifflé par certains aficionados lors du dernier match de la saison, "Grizi" avait paru affecté. Il a néanmoins choisi de rester, non sans avoir semé le doute. Comme l'été dernier.
Toute une com' en question. En mai 2017, il avait ainsi évoqué un départ à Manchester United, sur le plateau de l'émission "Quotidien", pas vraiment spécialiste en matière de football. Pire, il avait estimé ses chances de rejoindre Manchester United à six sur dix. Ce qui n'avait pas vraiment été apprécié dans la capitale ibérique.
Le Mâconnais, qui s'était séparé l'été dernier d'Eric Olhats, son conseiller depuis ses 14 ans, pour confier ses intérêts à sa sœur, n'en est d'ailleurs pas à sa première erreur de com'. En décembre dernier, il s'était grimé en joueur noir des Harlem Globetrotters sur les réseaux sociaux. Un hommage pour lui mais un geste dénoncé comme un "blackface". L'attaquant s'était rapidement excusé, plaidant la maladresse.
La polémique n'avait toutefois pas porté atteinte à son petit commerce. Car la marque Griezmann, se vend bien. Dans le magazine Forbes France sorti mercredi, il est en tête des joueurs français les plus rentables, avec un salaire annuel estimé à 10 millions d'euros, et des revenus publicitaires évalués à 3 millions d'euros, dont une marque de rasoir, un shampoing anti-pelliculaire et une collaboration avec le groupe EA Sports, qui produit le jeu vidéo Fifa. La marque Griezmann, c'est aussi sans doute cela qui a guidé sa communication. Pour la faire prospérer, le mieux reste néanmoins de briller sur le terrain. Et dès samedi avec les Bleus.