Tout ça pour ça ! Trois semaines de course exaltantes, avec même des espoirs de victoire finale française, pour aboutir à un résultat qui semble cousu de fil jaune depuis de nombreuses années : un Ineos (ex-Sky) sur la plus haute marche du podium sur les Champs-Élysées. Oui, certes. Mais, cette fois, ce n'est pas un Britannique, et ce n'est ni un ancien pistard (Bradley Wiggins en 2012, Geraint Thomas en 2018) ni un coureur un peu sorti de nulle part (Christopher Froome, en 2013 et de 2015 à 2017), mais un jeune talent reconnu : Egan Bernal, 22 ans et six mois, devenu le premier Colombien à remporter le Tour de France et le plus jeune vainqueur de l'après-guerre.
Un enfant de la montagne
Ce Tour, Bernal l'a remporté dans le col de l'Iseran, vendredi, sur le "toit" du Tour, à 2.770 m d'altitude. Une altitude que Bernal connaît bien puisqu'il est né à Zipaquira, à une trentaine de kilomètres de la capitale de la Colombie, Bogota, et dont la cathédrale, pour laquelle travaille son père, culmine elle aussi à plus de 2.700 m. Jeune, Bernal hésite entre deux métiers : celui de journaliste et celui de coureur cycliste. Son père, que l'on a vu très ému à Tignes lors de la remise du premier Maillot jaune à son fils, le convainc alors de persévérer dans le vélo…
Des débuts dans le VTT, une émergence en Italie
Ses premiers pas en compétition, Bernal les fait en VTT, où il s'illustre chez les juniors, avec des médailles aux championnats du monde de cross-country en 2014 ou 2015. Fin 2015, après s'être fait remarquer sur une course avec le maillot d'une sélection colombienne, il est recruté au sein de l'équipe italienne Androni Giocattoli, où il fait tout de suite l'unanimité, par ses résultats (plusieurs places d'honneur dès sa première année, victoire en 2017 au Tour de l'Avenir, épreuve phare du calendrier des coureurs de moins de 23 ans), mais aussi par sa personnalité.
"C'est une belle personne", se souvient auprès de l'AFP Gianni Savio. "Il a gardé l'humilité qu'il avait en arrivant dans notre équipe, il a l'équilibre pyschique d'un coureur bien plus âgé." Le coup de cœur est réciproque entre l'Italie et Bernal. "Mon cœur est aussi là-bas, je me sens un peu italien", a reconnu le vainqueur du Tour, qui maîtrise également la langue de Vincenzo Nibali. "L'Italie m'a beaucoup apporté, je lui dois beaucoup. J'ai de nombreux amis là-bas, qui sont comme ma famille. Ce qui me manque ? Les glaces, le 'Nutella'. Je veux y retourner bientôt."
Le grand saut chez Sky
Mais sans doute pas tout de suite. Car, après deux premières saisons pro en Italie, Bernal rejoint début 2018 l'équipe Sky, qui vient de remporter cinq des six derniers Tours de France. Et qui lui a fait signer en fin d'année dernière une prolongation de contrat jusqu'en 2023. Il s'agit d'un changement de stratégie pour le surpuissant team britannique. "Nous savions que nous avions un groupe de gars plus vieux qui étaient bons, mais nous avons cherché très fort la nouvelle génération et nous avons décidé que ce serait Egan", souligne Dave Brailsford, le manager de l'équipe Ineos. "Nous nous sommes durement battus pour l'avoir et il s'est développé de manière fantastique." Durement battus, oui, car le team Sky, à l'époque, a racheté les deux dernières années de contrat de Bernal pour 250.000 euros, une somme dérisoire pour un jeune talent dans le football mais significative dans le cyclisme.
Le ministère des sports colombien a salué la victoire de Bernal :
¡El Tour de Francia se tiñe de amarillo, azul y rojo! . @Eganbernal hace historia, se convierte en el primer colombiano en ganar @LeTour. El 2019 quedará marcado para siempre en la historia del ciclismo colombiano. #ColombiaTierraDeAtletas@LucenErnesto@LeTour@TeamINEOSpic.twitter.com/YUNBcjAL7A
— Ministerio del Deporte (@MinDeporteCol) July 28, 2019
Dès sa première saison, Bernal impressionne tous les suiveurs, notamment sur le relevé Tour de Catalogne, où il se classe 2ème de l'étape-reine derrière Alejandro Valverde, avant d'abandonner après une sévère chute, puis sur le Tour de Romandie, où, 2ème derrière Primoz Roglic, il signe son premier podium significatif. Il remporte aussi le Tour de Californie, avant d'être l'un des éléments moteurs de la victoire de Geraint Thomas sur le Tour 2018, qu'il termine 16ème.
2019, les signes du destin
Mais Bernal sublime très vite ce rôle d'équipier de luxe. Presque malgré lui. Venu sur Paris-Nice en mars dernier pour soutenir son équipier Michal Kwiatowski, il se montre plus fort en montagne et remporte sa première course par étapes sur le World Tour. Son année 2019 bascule en mars quand il est victime d'une chute à l'entraînement. Il se fracture la clavicule et doit renoncer au Tour d'Italie, sur lequel Ineos pensait l'aligner comme leader. Il fera donc le Tour de France. La suite fait désormais partie de l'histoire. Vainqueur en juin de son épreuve de reprise, le Tour de Suisse, il fait figure de co-favori pour la Grande Boucle avec son équipier Geraint Thomas, qui voit sa préparation perturbée par une chute sur ce même Tour de Suisse…
Geraint Thomas félicite son équipier sur les Champs-Élysées :
@Eganbernal and his family share the emotion as he crosses the line.
— Tour de France™ (@LeTour) July 28, 2019
Egan Bernal retrouve sa famille dès la ligne passée pour partager son émotion.#TDF2019pic.twitter.com/mUiWUFEARN
C'est peut-être ce qui a fait la petite différence entre les deux coureurs Ineos, souvent côte à côte dans les Pyrénées, mais séparés dans les Alpes par les attaques répétées de Bernal, dans le Galibier puis dans l'Iseran… Voilà comment Bernal, qui l'emporte avec 1'11" d'avance sur le Gallois, a réussi là où ses compatriotes Nairo Quintana (2ème en 2013 et 2015) et Rigoberto Uran (2ème en 2017) avaient échoué. "Je suis très fier d'être colombien, nous méritons ce Tour, cela fait de nombreuses années que nous avons de très bons cyclistes", estime Bernal. Son retour en Colombie, terre de cyclisme, promet beaucoup, tout comme le Tour 2020, où on le voit mal ne pas vouloir défendre son titre avec (et face à) Christopher Froome, son équipier et grand absent cette année.