En 2015, Isabelle Morizet recevait Alain Souchon qui venait de sortir un album du duos avec son ami Laurent Voulzy. Ce samedi, Europe 1 rediffuse cette interview qui reste aussi intemporelle que ses chansons. Preuve en est le texte de Foule sentimentale, sorti en 1993 mais qui résonne toujours aussi vrai vingt-six ans plus tard.
"J’ai de la chance que ça dure. Je suis même étonné"
En 2015, déjà, Alain Souchon collectionnait 40 ans de carrière avec une modestie qui lui est propre. "J’ai de la chance que ça dure. Je suis même étonné", disait-il. "J’ai la chance d’avoir des chansons qui ont trouvé un écho auprès de mes contemporains. Bien sûr, j’ai travaillé. Il y a toute une partie comme si on était béni des Dieux. C’est un don, un truc qui nous échappe. Je ne sais rien faire d’autre. J’étais très mauvais à l’école", glissait-il. Mais tous les mauvais à l'école n'ont pas sa poésie, lui qui a été marqué par celle de Victor Hugo, et notamment La légende des siècles.
Le chanteur n'admettrait pas la comparaison. Et pourtant, ses chansons ont bel et bien ce côté universel. Prenons toujours Foule sentimentale, qui dénonçait avec douceur la société de consommation. Rien n'a changé depuis. Ou si, peut-être y est-on encore plus empêtré. Pas Alain Souchon, qui en 2015 n'avait toujours pas de portable. "Je suis fasciné par la société de consommation. Ça me fascine parce que je ne suis pas du tout comme ça. En même temps, je comprends, il y a un vide. Il n’y a plus de Dieu, la politique, plus personne n’y croit. L’espérance… Tout ça manque. Il y a les sacs Chanel, il y a les bijoux, je ne sais pas, les chaussures avec le rouge dessous. Tout ça qui remplace. Il y a quelque chose de pathétique là-dedans et en même temps je ne critique pas. Je ne dis pas que je suis mieux que ça."
"Maintenant, ça fait un peu vieux con"
Souchon, qui voue une vraie admiration à la nature, ne comble donc pas le vide par l'achat compulsif ou la consultation frénétique de son smartphone. "Dans ma génération, on s’emmerdait, on nous donnait des bouquins à lire. On trouvait ça fastidieux par moments. C’est pour ça que je me suis acheté une guitare et que j’ai grattouillé. Ça meublait la chambre du son de la guitare. Après, je trouvais des mots et je trouvais ça joli." Voilà comment le chanteur racontait ses débuts. Peut-être aussi qu'Alain Souchon est resté coincé quelque part vers cet âge un brin juvénile, lui qui parle toujours de "filles" et de "garçons", sans choisir d'utiliser les termes plus adultes d'hommes et de femmes. "J’ai toujours une vision un peu adolescente du monde, des puissants, de l’argent, des filles. C’est devenu sans doute un tic naturel et sans doute que maintenant ça fait un peu vieux con."
"Un métier monstrueux"
Face au temps qui file, il reconnaissait ne pas savoir quoi faire, mais savourait de manière tranquille son succès avec Voulzy. "On est récompensé et ça nous sidère. J’aurais été tout seul, je n’aurais jamais eu le succès que j’ai eu. Et lui, il se dit pareil. On a besoin l’un de l’autre d’une manière un peu magique, qui nous dépasse." Quant à sa carrière au cinéma, il la regardait de façon lointaine, lui qui a quand même tourné avec Isabelle Adjani dans L'été meurtrier et Catherine Deneuve dans Je vous aime.
"N’importe qui, pris en main dans une belle histoire, aurait fait ce que j’ai fait. Ce n’est pas de la coquetterie", assurait-il, expliquant de la même façon ne pas lire ce qui s'écrit sur lui et ne pas écouter ses propres disques. "C’est un peu un métier monstrueux. On n’aime pas entendre sa voix. C’est la nature humaine, on n’est pas fait pour soi. Il faut avoir une espèce de sagesse pour savoir se juger. Moi, je n’y arrive pas. Je demande aux autres. On est fait pour aimer les autres", concluait-il.