Il n'est pas la tête d'affiche de la série mais crève l'écran. Dans Becoming Karl Lagerfeld, fiction sur les débuts du couturier allemand à Paris, Arnaud Valois prête ses traits à un autre grand nom de la mode déjà maintes fois incarné au cinéma : Yves Saint Laurent. Passer après Gaspard Ulliel et Pierre Niney était un défi presque impossible à relever. Arnaud Valois l'a fait avec grâce. Son interprétation nous fait redécouvrir le couturier sous un autre jour, moins glorieux certes mais peut-être plus proche du réel.
Dans Becoming Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent est épuisé par son travail, détruit par la consommation de drogue et d'alcool, dépressif, soumis à Pierre Bergé (brillamment interprété par Alex Lutz, impitoyable) et fou amoureux de Jacques de Bascher. Tout ce mal-être se lit sur le corps de son interprète, gracile, décharné mais aussi dans son regard qui frise la folie. Comment Arnaud Valois est-il devenu Monsieur Saint Laurent ? Interview.
Que représentait Yves Saint Laurent pour vous avant de jouer dans la série ?
Je pensais que je connaissais beaucoup de choses de lui et je me suis vite rendu compte que ce n'était pas le cas ! Oui, je connaissais l'icône de mode, le grand monsieur de la haute couture. Mais j'ignorais qu'Yves Saint Laurent était vraiment le visage de la France à l'étranger dans les années 1970. Il y avait quelque chose de très puissant dans sa maison et dans ce qu'il représentait. En travaillant mon personnage, j'ai pu découvrir qui Saint Laurent était en tant qu'être humain, comprendre l'être de chair et de sang et ce qui le faisait vibrer en dehors de la mode.
Dans Becoming Karl Lagerfeld, on voit surtout la face sombre d'Yves Saint Laurent. Comprenez-vous sa psychologie ?
Il m'a un peu effrayé. Il y a l'alcool, la drogue, le sexe et les troubles psychologiques mais tout ça est le symptôme d'une détresse totale qui se trouve à l'intérieur de lui. Il est ultra puissant et en même temps très vulnérable. C'est un homme de contraste total. Quand il dit blanc, ça veut dire gris, vert ou même bleu. C'est impressionnant le nombre de lectures qu'il y a dans ce qu'il exprime. Avec lui, les choses sont un peu imagées, tout flotte. Il se joue de nous et de lui mais il ne sait pas qui il est. Il dit qu'il est prisonnier de toute cette aura qu'on lui donne mais ça le comble aussi d'être au centre de l'attention. Il est passionnant.
Avez-vous aimé jouer ce personnage très complexe ?
Oui car c'est un personnage hyper intéressant à jouer mais qui coûte assez cher pour la personne humaine que je suis derrière l'acteur. Je ne retirais pas mon costume Yves Saint Laurent pendant trois jours pour le remettre quand le tournage reprenait. Il ne me quittait pas. Je ne parlais pas comme lui, et je ne me comportais pas comme lui non plus. Mais il y avait une vibration en moi qui était impossible à enlever et qui m'a quitté longtemps après le tournage. Ça ne m'était jamais arrivé, avec aucun personnage.
Comment l'expliquez-vous ?
C'était une fusion. Si vous croyez aux forces de l'esprit, j'ai l'impression d'avoir été traversé par Yves Saint Laurent. Je me suis tellement immergé dans son travail, dans ses goûts, notamment les films qu'il aimait, la musique qu'il écoutait et l'art qu'il aimait collectionner, qu'à un moment je me suis pris pour lui. Je ne suis pas devenu lui mais il y a eu quelque chose de très puissant.
Avez-vous été dérouté par cette expérience ?
Oui, c'était très troublant à vivre. Il y a une scène en particulier dans la série où j'annonce que je suis sorti de l'hôpital psychiatrique. A ce moment-là, j'ai eu l'impression de ne plus contrôler ma voix et mes gestes. Je me suis retourné vers Alex Lutz, qui était juste à côté de moi, et il était en larmes. Je ne comprenais pas ce qui s'était passé. Bien sûr, la scène était émouvante mais je pense qu'il y avait un truc en plus, quelque chose au dessus de nous.
Aviez-vous la pression de passer après Gaspard Ulliel et Pierre Niney ?
Une pression énorme car ils ont tous les deux un immense talent. J'étais aussi angoissé car je ne ressemble pas trop à Yves Saint Laurent physiquement. Donc il fallait accepter de faire un gros travail sur le corps.
Quel a été ce travail ?
J'ai perdu 15 kilos en deux mois. J'ai arrêté les desserts et le sucre. Je marchais sur un tapis deux à trois heures par jour pour faire fondre le muscle. Pendant ce temps-là, je regardais des images d'archives, des films sur Saint Laurent. C'était un combo tête et corps. Mais il fallait surtout que je me sente beaucoup plus fragile, beaucoup plus roseau. C'est étrange mais je n'ai pas repris tout le poids que j'ai perdu pour la série.
Avez-vous eu des soucis de santé à cause de cette perte de poids très rapide ?
J'ai eu des petits soucis que je n'avais jamais eus avant : un lumbago et une conjonctivite qui a duré plus de trois mois.
Vos proches se sont-ils inquiétés pour vous ?
Oui, ma mère m'a dit qu'elle ne reconnaissait plus mon regard. Mon compagnon, lui, avait l'impression qu'on vivait à trois, lui, moi et Yves Saint Laurent. Il trouvait ça insupportable. Moi, je ne m'inquiétais pas parce que c'était hyper grisant. Mais je me suis rendu compte que cette situation ne pouvait pas durer.
Après le tournage, comment s'est passé le retour à la réalité ?
C'était très agréable pour moi personnellement parce que j'étais libéré d'un poids. Mais, artistiquement, tout ce qu'on me proposait me paraissait fade. Il y avait tellement de choses à faire avec Yves Saint Laurent qu'incarner un personnage plus classique ne m'attirait plus. J'ai mis du temps à me réinvestir dans d'autres projets.