Victor Hugo aurait été "très attristé" s'il avait vécu à l'époque du Brexit
A l'origine des récentes dissensions entre les pêcheurs français et anglais, l'île de Guernesey est aussi célèbre pour la bâtisse où s'est exilé Victor Hugo pendant près de quinze ans. Pour Gérard Audinet, conservateur général du patrimoine et directeur des Maisons de Victor Hugo à Guernesey, cette maison s'apparente au "cerveau" de l'écrivain.
L'île de Guernesey, située à l'est de la Normandie, a certes été a u cœur des tensions entre les pêcheurs français et anglais ces derniers jours. Elle n'en reste pas moins un lieu qui témoigne d'une histoire commune entre la France et la monarchie britannique. Fuyant à l'époque le contexte politique français, l'écrivain Victor Hugo y vécut la troisième période son exil, pendant près de quinze ans, après être passé par la Belgique et Jersey, une autre des îles anglo-normandes. "C'est le seul endroit où il a été propriétaire puisque la maison Hauteville House, la maison de Guernesey, est la seule qu'il ait achetée", raconte mardi sur Europe 1 Gérard Audinet, conservateur général du patrimoine et directeur des Maisons de Victor Hugo sur l'île.
Le "cerveau de Victor Hugo"
Cette maison, Hauteville House, il en parle comme du "cerveau de Victor Hugo". "C'est vraiment son cerveau qu'il a projeté en trois dimensions sur tous les murs de la maison", ajoute-t-il. Et pour cause, l'écrivain a décoré la demeure du sol au plafond, jusque dans les moindres recoins, la dotant d'une "double peau" selon les dires de Gérard Audinet. "Il le fait avec des collages de matériaux de récupération et ce qu'il peut trouver sur place : des boiseries, des soieries, des tapisseries anciennes, des Gobelins ou des Flandres, des carreaux de Delft ou du feutre imprimé." Toutes ces matières, Victor Hugo les assemble toujours selon le même principe, mais chaque fois de manière un peu différente, conférant à chaque pièce une "ambiance particulière" et "chaque fois renouvelée".
Des rapports avec la population "un peu compliqués"
Au XIXème siècle, en pleine période victorienne, la présence en ce lieu de l'homme de lettres flatte les Guernesiais à en croire le conservateur général du patrimoine. Mais les rapports entre Victor Hugo et la population locale, des "Protestants méthodistes", sont aussi "un peu compliqués". "Ils regardaient curieusement cet homme célèbre, écrivain, qui était exilé politique et donc qui avait une sorte de parfum révolutionnaire qui traînait derrière lui. Et puis surtout, on savait très bien qu'il était là, même s'il était très discret, aussi discret que possible, avec sa maîtresse qui habitait à quelques pas de chez lui. Donc tout ça sentait un peu le soufre quand même, c'était un peu bizarre", retrace Gérard Audinet. Il assure qu'aujourd'hui, "les Guernesiais sont très attachés au souvenir de Victor Hugo".
Le promoteur des "Etats-Unis d'Europe"
Un souvenir qui se rappelle brusquement à eux alors que le Brexit n'en finit plus d'être au centre de l'actualité des deux côtés de la Manche. Car Victor Hugo était aussi un promoteur du concept des "Etats-Unis d'Europe". "Guernesey est un cas très à part, car ce sont des îles qui dépendent de la couronne britannique, propriétés de la Reine. Ce n'est pas vraiment, tout à fait, dans le Royaume-Uni, donc ce n'est pas tout à fait concerné par le Brexit en principe", explique Gérard Audinet qui avoue néanmoins ne plus rien y comprendre. "Les îles anglo-normandes n'ont pas voté lors du référendum sur le Brexit, mais elles sont quand même un peu touchées par la chose, car elles sont quand même dans la dépendance du Royaume-Uni. Tout ça est très très compliqué."
L'histoire du chêne et du parasite
Pour le conservateur du patrimoine, une chose est sûre cependant, Victor Hugo, "pionnier de l'Europe", aurait été "très attristé" s'il avait vécu à l'époque du Brexit. Gérard Audinet rappelle d'ailleurs "son dernier geste symbolique avant de rentrer en France à la fin de l'exil" : Victor Hugo a réuni ses proches dans le jardin de Hauteville House et planté un chêne "en disant que ce serait le chêne des Etats-Unis d'Europe". "Il dit que dans un siècle il n'y aura plus de guerres. Il fait ce geste qui est un geste de paix et d'union à laquelle il aspire pour les pays d'Europe", raconte le directeur.
Aujourd'hui, cet arbre "de l'union" est toujours là. Il subit toutefois l'assaut d'un parasite, ce qui fait sourire Gérard Audinet : "Je ne sais pas s'il faut y voir un symbole ou pas."