Elle a vécu avec son frère grand couturier, elle a connu la guerre et ses horreurs. Catherine Dior, est bien plus qu'une sœur au nom célèbre. Nous sommes en 1947. En même temps que son premier grand défilé de mode, Christian Dior est le premier couturier à avoir l'idée de génie de lancer un parfum en même temps qu'une collection de vêtements. Mais quel nom lui donner ? Alors que Dior se creuse la tête, Catherine, sa petite sœur, entre dans la pièce. L'assistante du créateur lance alors "Tiens, voilà Miss Dior !".
"Miss Dior ! Miss Dior ! Voilà mon parfum !", s’exclame Christian Dior. Et c'est ainsi que, sans le vouloir, la discrète Catherine Dior, sœur du grand couturier, est passée à la postérité. Christian est né en 1905. Catherine Dior, elle, en 1917. Les deux enfants grandissent dans une famille d'industriels prospère, entourés de domestiques. Mais tout bascule au début des années 1930 : Madeleine, leur mère, meurt et Maurice Dior, leur père, se retrouve ruiné "en quelques jours", racontera Christian Dior, après avoir lancé une société immobilière que le krach boursier américain, en passant l'Atlantique, vient stopper net.
Engagée dans la Résistance cannoise
Catherine est, elle, privée de l'éducation et des études qu'elle aurait dû suivre. Quatre ans plus tard, elle a 18 ans lorsque son grand frère lui propose de venir habiter avec lui à Paris. Malgré leurs 12 ans d'écart, frère et sœur s'entendent à merveille. Ils partageant une même passion pour les fleurs et les jardins, héritée de leur mère, mais aussi pour la musique et l'art.
Catherine est l'une des rares personnes à qui Christian Dior ose confier son homosexualité. La jeune femme encourage le talent de styliste de son frère, peut-être même joue-t-elle les mannequins pour ses premières créations. C'est en tout cas ce que certaines photographies laissent penser. Sur l'une d’elles, ses cheveux bruns relevés en chignon, elle porte une très chic robe noire à manches longues et un collier fantaisie.
Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, frère et sœur doivent se séparer un temps. Catherine Dior s'installe dans la maisonnette de leur père, sans confort ni électricité, Les Naÿssès, près de Cannes. Elle y fait pousser des légumes, seul moyen de subsistance, et peut compter sur l'aide financière de son frère, et probablement des deux aînés de la fratrie durant toutes ces années.
En novembre 1941, alors qu'elle achète un poste de radio, Catherine tombe sous le charme d'Hervé Papillault des Charbonneries. Le coup de foudre est immédiat. Le vendeur de radio devient quelques mois après un héros de la Résistance. Catherine Dior s'engage aussi. Sa tâche consiste à collecter et à transmettre des informations sur les mouvements de troupes et de vaisseaux allemands, ce qui nécessite de longs trajets à bicyclette.
Torturée par la Gestapo et envoyée dans les camps
Catherine ne se contente pas de livrer les rapports : avant une descente de la Gestapo, elle dissimule le matériel compromettant, puis le transmet à un autre membre du réseau. Cannes devenant bientôt trop dangereux pour la résistante, elle fuit et rejoint Paris, pour retrouver son frère qui ignore tout de ses activités clandestines. Hélas, le 6 juillet 1944, à 16h30, Catherine Dior est arrêtée place du Trocadéro par un groupe de quatre hommes armés. Ils s'emparent de son vélo, de son sac à main, pour la conduire dans les bureaux de la Gestapo, rue de la Pompe.
Quelques mois plus tard, elle décrira les terribles événements au tribunal chargé d'une enquête sur les crimes de guerre, comme le relate, pour la première fois, la biographe britannique Justine Picardie : "À mon arrivée dans l’immeuble, je fus immédiatement soumise à un interrogatoire sur mon action dans la Résistance, et aussi sur l'identité des chefs sous les ordres desquels je travaillais. Cet interrogatoire fut accompagné de brutalités : coups de poing, coups de pied, griffes, etc. L'interrogatoire ne donnant pas satisfaction, je fus amenée dans la salle de bains. On me déshabilla, on m'attacha les mains, on me plongea dans l'eau où je restais trois quarts d'heure environ."
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Pendant plusieurs jours, Catherine Dior est torturée. Mais elle ne dénonce aucun de ses compagnons résistants. Le 15 août 1944, elle est déportée vers le camp de concentration de Ravensbrück, en Allemagne. Le trajet dure une semaine. Il faut l'imaginer, arrivant au camp, épuisée, affamée et terrifiée. Elle est accueillie par une meute de chiens aux crocs menaçants, des soldats en uniformes SS armés de bâtons et de fouets hurlent des insultes.
Elle y passe quelques terribles jours avant d'être déportée de camp en camp, contrainte au travail forcé, notamment pour le compte de la firme pro-nazie à l'époque, BMW, qui a transféré sa fabrication de pièces pour les moteurs d'avions dans d'anciennes mines de potasse, à l'abri des bombardements des Alliés, ou contrainte de transporter des pierres dans des conditions de "travail" effroyables.
En France, Christian Dior est rongé par l'angoisse de ne pas savoir où se trouve sa petite sœur, ni si elle reviendra un jour. Il s'épuise, en vain, à retrouver sa trace, mais n'abandonne pas. Une voyante lui a affirmé que Catherine allait revenir. Christian Dior veut la croire. "Mon petit papa", écrit-il à leur père, "Il faut être courageux et patient. Combien de temps nous faudra-t-il encore pour revoir notre chérie ?"
Finalement, Catherine Dior rentre à Paris après neuf mois de déportation. Christian serait venu l'attendre à la gare. La maigreur de sa sœur est telle qu'il lui faut un moment pour la reconnaître. Il la ramène chez lui, rue Royale, où l'attend un dîner préparé avec amour. Mais Catherine est trop malade pour en profiter.
Une carrière dans les roses et le jasmin
Dans les archives de la Maison Dior, on peut regarder, avec émotion, une photographie de Catherine prise après son retour en mai 1945. Elle porte les médailles qu'on lui a décernées en reconnaissance de son courage, mais son visage est d'une tristesse indescriptible. Au grand soulagement de sa famille, Catherine Dior reprend des forces pendant l'été. À l'automne, elle est suffisamment rétablie pour entreprendre un voyage à Paris avec Hervé, son amant qu'elle a retrouvé.
Il leur faut trouver un emploi : Catherine obtient l'autorisation de vendre des fleurs en gros, et le couple se met à commercialiser le fruit de leur production qu'ils ont planté dans le jardin de la maison des Naÿssès. Alors que son frère est en passe de devenir l'un des couturiers parisiens les plus en vue, Catherine fuit la lumière des projecteurs. Pourtant, elle est le seul membre de la famille Dior présent pour assister au succès fulgurant de Christian, le jour de son premier défilé. Maurice Dior étant décédé seulement quelques semaines avant.
A chaque collection, son frère lui offre des robes. Si son célèbre parfum Miss Dior est un hommage à sa sœur, une robe aussi porte son nom. Mais on imagine mal Catherine Dior porter ce modèle haute couture aux halles, où elle se rend à 4 heures du matin pour vendre ses fleurs, ni dans les champs de roses dont elle s'occupe chaque été dans la maison des Naÿssès, que son père lui a léguée.
C'est dans cette maison familiale, entièrement rénovée, avec des jardins emplis de roses et autres fleurs à parfum, qu'elle s'installe avec son bien-aimé, après la mort, soudaine, de Christian Dior. En effet, le soir du 24 octobre 1957, pendant un voyage en Italie, le couturier est retrouvé inerte dans sa salle de bain. On fait venir un médecin, mais trop tard : Christian Dior a succombé à une crise cardiaque. On appelle aussitôt Catherine, qui arrive à temps pour voir le corps de son frère étendu sur un lit, vêtu de noir, avant qu'il ne soit rapatrié à Paris en jet privé.
Catherine Dior met de l'ordre dans les affaires de son frère avant d'abandonner le commerce de fleurs pour se consacrer à la culture des roses et du jasmin. On raconte que jusqu'à la fin de sa vie, en juin 2008, elle a porté le parfum Miss Dior. Sur sa coiffeuse, il y en avait toujours un flacon, au milieu des rouges à lèvres. Des rouges à lèvres Dior, évidemment.