Plus de femmes cheffes d'orchestres. En 2022, Zahia Ziouani se bat pour féminiser cet univers de la musique, resté pendant très longtemps une affaire d'hommes. À 43 ans, la directrice originaire de Seine-Saint-Denis est revenue sur son expérience au micro d'Europe 1. Et le constat est sévère : seulement 4% des chefs d'orchestre sont aujourd'hui des femmes.
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"Il faut avoir en tête que certains orchestres en Europe, il y a encore trente ans de cela, interdisaient les femmes. Certains domaines comme celui de la musique tardent à laisser la place à la parité dans un certain nombre de postes. Le chef d'orchestre est vraiment la personne qui représente l'autorité au sein de ce grand collectif de musiciens qu'est l'orchestre symphonique. Donc, c'est vrai qu'aujourd'hui, c'est un vrai combat à mener", explique-t-elle.
Depuis quelques années, les choses tendent à bouger pour qu'il y ait plus de femmes dans les orchestres. Très peu nombreuses au poste de chef, elles ont préféré créer leurs propres orchestres pour pouvoir s'exprimer. Une ambition qu'il faut appréhender dès les débuts de carrière.
"Ce n'est pas du tout un métier fait pour les femmes"
Dès le commencement de sa formation, Zahia Ziouani a rencontré des résistances, au point de la dissuader d'exercer le métier de ses rêves, cheffe d'orchestre. "Dans mon enfance, j'étais bercée par les symphonies de Beethoven, de Mozart. Donc j'ai naturellement eu envie de faire de la musique. J'ai commencé par la guitare au Conservatoire avant de faire de l'alto, précise-t-elle. En tant qu'altiste, puisque j'ai joué de cet instrument pour faire partie des orchestres, j'étais vraiment au cœur de l'orchestre, entre les soins aigus, les sons graves, et placée juste devant le chef d'orchestre. C'est là que j'ai découvert cette figure de la musique."
Ses parents n'étant pas musiciens, la directrice raconte être arrivée insouciante et naïve dans ce milieu musical. "J'ai commencé à dire autour de moi que je voulais être cheffe d'orchestre. Et alors que j'étais une jeune adolescente, on m'a dit que ce n'était pas du tout un métier fait pour les femmes, qu'il fallait que je me concentre plutôt sur mes études d'instruments". Certains professeurs, notamment des femmes, l'ont malgré tout encouragée à poursuivre son ambition. La directrice s'est alors inspirée des femmes de sa famille, qu'elle décrit comme combatives, ainsi que de ses rencontres.
Répondre aux exigences et se montrer sans faille
"J'ai eu la chance de rencontrer un grand maître de la direction d'orchestre qui m'a tout de suite accueilli dans sa classe, Sergiu Celibidache. C'était en effet une des plus grandes figures de la direction d'orchestre du vingtième siècle, tout le monde rêvait de le rencontrer. Par contre, c'était quelqu'un de très exigeant", explique Zahia Ziouani.
Selon ce que lui a dit son maître, les femmes ne tenaient jamais plus de quinze jours dans cette classe. Une façon de montrer que l'art de la direction est terriblement exigeant, afin d'être capable de supporter la pression et la recherche d'excellence de ce milieu. Après 18 mois à ses côtés, elle a décidé de se lancer car "c'est en dirigeant un orchestre qu'on en devient la cheffe", a-t-elle précisé. Mais au-delà du manque de femmes à ce poste, il n'y avait aussi que très peu de jeunes.
Dans les grands orchestres nationaux, les nominations sont pour la plupart faites au niveau de l'État, du ministère de la Culture. Et ces grandes institutions ont encore du mal aujourd'hui à faire confiance à des nouveaux profils. "Ce n'est pas facile quand vous vous appelez Zahia et que vous avez grandi en Seine-Saint-Denis. Je me prenais de front les préjugés, les idées reçues. Donc je me posais déjà beaucoup de questions", raconte-t-elle. Pour réussir, il lui fallait être irréprochable techniquement.
Lecture des partitions, l'histoire de la musique, analyse, connaître tous les instruments. Zahia Ziouani a dû se montrer sans faille. Et puisqu'il n'y avait pas d'opportunités, elle a décidé de créer elle-même son orchestre, et donc un projet.
Un orchestre mettant en avant la diversité
Avec sa sœur jumelle, elle aussi musicienne, elle a travaillé son projet d'orchestre. Il a fallu définir une ligne artistique, que la directrice a voulu parfaitement en accord avec le XXIème siècle et avec une identité particulière. D'où l'idée de jouer dans le milieu carcéral.
"Je me rendais compte qu'on avait fait de beaux concerts de musique classique. On les voyait à l'opéra, on les voyait dans les grandes salles, à la salle Pleyel, mais pas dans le territoire où j'ai grandi. Et cela, ça a été en effet un des premiers engagements, explique-t-elle. Pour moi, c'était de me dire je veux à la fois être sur les plus grandes scènes internationales, mais aussi aller là où la culture n'est pas forcément présente et rendre cette musique symphonique. Cette musique classique est très accessible et populaire dans le bon sens du terme. Et donc, ça a été mon devoir d'aborder la musique différemment de ce qu'on faisait habituellement."
Pour la cheffe d'orchestre, ce qui manque, c'est la parité au sein de l'univers de la musique, mais surtout des personnes qui peuvent apporter un regard différent. Et ce qu'elle a essayé de faire. "L'important pour moi aujourd'hui c'est de dire qu'il n'y a pas de différence entre jouer à Stains, jouer à Vaux-en-Velin ou jouer à la Philharmonie de Paris. On est habillé de la même façon. Ce sont les mêmes œuvres qu'on joue avec autant d'exigence, confie-t-elle. Parce que l'excellence a aussi le droit de vivre en milieu carcéral, en milieu urbain, en milieu rural." Elle ouvre ainsi la voie à la formation de jeunes musiciens, pour découvrir de nouveaux potentiels.
Transmettre un patrimoine musical
La directrice a à cœur de mettre en regard la musique qu'elle joue avec des sujets d'actualité : l'élection présidentielle, être Français aujourd'hui. "La musique, c'est aussi un lieu de rencontre et par exemple, une œuvre que je dirige beaucoup, c'est la danse Bacchanale de Camille Saint-Saëns. Il fait partie des grands compositeurs français s'inspiraient des musiques d'Afrique du Nord et particulièrement de l'Algérie. Et c'est aussi ça que j'ai envie de partager. Mon rôle, c'est de transmettre ce patrimoine musical", conclut Zahia Ziouani.
C'est en suivant cette volonté que son orchestre Divertimento va jouer son concert "Inspiration Orient", en juin 2022 à la Philharmonie. La directrice souhaite également faire participer les jeunes talents de sa formation pour prouver "qu'on peut faire les choses ensemble, même si on a des parcours très différents".