L’info. A peine nommés, les deux ministres de Bercy sont partis lundi à Berlin pour rencontrer leurs homologues allemands. Une visite qui a mis en lumière les divergences entre Michel Sapin, en accord avec le sérieux budgétaire allemand, et Arnaud Montebourg, pour qui la relance passe avant la réduction des déficits. Mais au-delà de cette dissension sur l’austérité, quelle est la vision européenne des deux ministres et de leurs secrétaires d'Etat ?
>> Europe1.fr a posé la question à deux spécialistes des affaires européennes : Nicolas Veron, économiste à l’institut Bruegel et chercheur au Peterson Institute de Washington, et Guillaume Klossa, fondateur du think tank EuropaNova et auteur du livre "Une jeunesse européenne".
Michel Sapin, un social-libéral virtuose de la négociation. Pour Guillaume Klossa, le ministre des Finances et des Comptes public a un atout : "c’est un grand connaisseur du système européen. Il a déjà été ministre des Finances donc il connait toutes les facettes de la négociation bruxelloise. Ce sera sûrement un virtuose de la négociation, une compétence qui va être nécessaire au moment où la France va essayer d’échelonner ses engagements, notamment en matière de réduction de la dette".
"Beaucoup de gens attendent que son expérience le conduise à mettre en avant la coopération européenne, qu’il soit un conciliateur, quelqu’un qui va prendre en compte les réalités politique et diplomatique mais aussi le rôle constructif que peuvent jouer les institutions européennes pour prévenir et mieux gérer les crises financières", renchérit Nicolas Veron.
Quant à sa vision de l’Europe, elle est "dans la lignée social-libérale. Il recherche l’équilibre entre l’économie de marché et les valeurs sociales. Il fait partie de ceux qui plaident pour une intégration plus poussée avec la mise en œuvre d’une gouvernance économique et financière renforcée de la zone euro", précise Guillaume Klosa.
Arnaud Montebourg, le souverainiste qui pourrait bien évoluer. Le ministre de l’Economie a un contentieux avec les institutions, allant jusqu’à dénoncer le 14 janvier "l’intégrisme idéologique de la Commission". Et ses nouvelles fonctions n’ont pas altéré son discours : "mon but ce n'est pas d'être populaire à la Commission européenne", a-t-il prévenu début avril. "Il est pour la souveraineté industrielle et aimerait projeter l’esprit français au niveau européen. Sa perspective reste la vision traditionnelle de la France sur l’Europe : l’Europe, c’est la France en grand", résume Guillaume Klossa.
Mais cela pourrait bien changer, prévient Nicolas Veron : "il est dans une position politique différente de là où il a été pendant le passé récent. Il était un challenger et maintenant il est un grand ministre. Ce n’est pas seulement une différence de portefeuille mais aussi de statut qui va avoir une influence sur sa rhétorique et sur sa vision européenne".
Et ce dernier d’ajouter : "je ne pense pas qu’Arnaud Montebourg puisse rester sur une trajectoire extrêmement dénonciatrice. Quand vous êtes ministre de l’Economie, vous ne pouvez pas aller très loin en ayant une position uniquement antagoniste vis-à-vis de Bruxelles, de la Commission, parce que vous êtes en permanence en position de négocier avec ces acteurs. Donc si la rhétorique est seulement de les dénoncer sans nuance, ces négociations vont être affectées de manière négative".
Axelle Lemaire, la valeur montante. Elue en 2012 députée des Français de l'étranger pour l'Europe du Nord, la nouvelle secrétaire d’Etat au Numérique se doit d’être intéressée par les questions européennes. D’autant que cette juriste de formation était membre de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale. "Elle fait partie du programme des jeunes leaders européens d’EuropaNova et elle a vraiment une culture binationale. Elle a aussi fait un vrai apprentissage de la complexité et du biculturel : c’est LA jeune Européenne du gouvernement", s'enthousiasme Guillaume Klossa.
Reste à définir vers quelle Europe elle souhaite aller. "Elle a conscience qu’il faut que l’Europe fasse masse critique et a donc besoin d’une intégration plus poussée. En même temps elle est très attachée à un équilibre entre l’économique, le social et le culturel. C’est le type de profil qui est vraiment capable de concilier la dimension nationale et la dimension européenne. A l’avenir, ça peut être l’une des femmes qui marqueront la politique française", poursuit-il.
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Christian Eckert, en quête d’une Europe sociale. Le secrétaire d’Etat en charge du Budget commence à avoir une solide réputation en France en raison de son passé de rapporteur de général du Budget à l’Assemblée nationale. Une renommée bien moindre à l’échelle du continent : "il n’a pas encore une parole européenne identifiée et claire", estime Guillaume Klossa.
Son site internet personnel permet néanmoins d’en savoir plus sur ses aspirations européennes. "Je considère qu'un accord sur une politique économique commune ne peut se faire qu'en s'accordant aussi sur un socle social : salaire minimum, temps de travail, retraites, sécurité sociale", écrivait-il en 2010. Trois années plus tard, Christian Eckert fustigeait une Europe "technocratique, sans dialogue social (qui) reste sans ambition ni projet". Bref, ce spécialiste des Finances veut plus d’Europe, mais seulement si elle est sociale.
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Valérie Fourneyron, l’inconnue européenne. Avec une formation médicale et un fort intérêt pour le sport, la nouvelle secrétaire d’Etat a rarement parlé d’Europe en dehors de la Ligue des champions ou de la lutte contre le dopage. Mais son portefeuille (le commerce, le l'artisanat, la consommation, et l'économie sociale) devrait rarement l’amener à négocier avec Bruxelles.
CONCLUSION : "cette ambiguïté va continuer". Avec des profils aussi différents, difficile de définir la ligne de conduite européenne du pôle économique du gouvernement. "Le discours de Bercy sur l’Europe, c’est le discours du président et il faut bien avouer qu’il n’est pas facile à résumer ces dernières années parce que le gouvernement français a envoyé des messages très contradictoires, certains très européens, d’autres très souverainistes", décrypte Nicolas Veron.
Et ce dernier d’ajouter : "sur les deux dernières années, le discours de Bercy a reflété cette difficulté à exprimer une vision très claire. Je pense que cette ambiguïté va continuer. Et on pourrait dire qu’elle est incarnée par la dualité entre Michel Sapin et Arnaud Montebourg". Sauf que deux ministres ayant accordé leur discours ont une voix qui porte plus loin.
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