Des "frondeurs" du PS à l'OFCE en passant par le Nobel d'économie 2008 Paul Krugman et tous les économistes dits "keynésiens", de nombreuses voix s'élèvent, en France et ailleurs, pour réclamer une politique économique alternative. Une politique anti-rigueur, une politique de relance. L'idée générale : les États et les banques centrales doivent injecter de l'argent en masse dans l'économie, pour relancer la consommation, les transactions financières, faire baisser la valeur de la monnaie et restaurer la compétitivité des entreprises. Le Japon s'y est essayé. Mais il vient de replonger en récession.
>> Faut-il y voir un signe de l'échec de cette politique ? Pas sûr… Europe1 a épluché la presse spécialisée.
Shinzo Abe décoche ses "Abenomics". C'était en janvier 2013. Le Japon annonçait sa décision de nager à contre-courant du reste du monde. Alors que toutes les grandes puissances économiques votent des plans de réduction de déficit, Shinzo Abe, fraîchement nommé Premier ministre, annonce, lui, un plan de relance colossal. Au total, 20.000 milliards de yens, soit 175 milliards d'euros, vont être injectés dans l'économie. A coups de financements publics et d'incitation pour les entreprises, des projets sont lancés dans tous le pays, de la modernisation des infrastructures et aux investissements dans l'énergie, l'agriculture, la santé ou encore les ressources rares.
Et surtout, Shinzo Abe demande à la banque centrale de faire tourner la planche à billets, pour faire baisser le Yen, et ainsi permettre aux entreprises d'être plus compétitives. La même banque centrale se lancera également dans une politique de rachat de dette publique, afin de financer les investissements publics. Les "Abenomics", surnom donné à ces mesures, étaient décochées.
La relance a des effets pervers… Mais presque deux ans plus tard, c'est la douche froide. Le Produit intérieur brut (PIB) nippon a chuté de 0,4% entre juillet et septembre dernier, après une contraction de 1,9% au deuxième trimestre, selon des statistiques publiées lundi. Deux trimestres de recul du PIB, c'est donc une récession. Et le Premier ministre en a tiré une conclusion à la hauteur de la déconvenue : il a décidé de dissoudre la Chambre basse, l'équivalent de l'Assemblée, et de convoquer des élections le mois prochain. L'une des raisons de cette déconvenue ? Le plan de relance en lui-même, selon certains, qui lui reprochent d'avoir des effets pervers.
"La baisse du Yen n'a pas entraîné mécaniquement une hausse des exportations. La raison, non prévue, est que les Japonais vendent des produits de haute qualité qui dépendent peu des prix. A contrario, l'énergie qui est entièrement importée (après l'arrêt des centrales nucléaires) est devenue plus chère. Elle pèse sur le budget des ménages et pénalise la consommation", décrypte vendredi Eric le Boucher, éditorialiste aux Echos (et à Europe1). La consommation des ménages, a, en effet, plongé de plus de 5% entre avril et juin 2014, pour n'augmenter que de 0,4% ensuite. Or, elle représente 60% du PIB du PIB nippon.
"Autre déconvenue : la liquidité monétaire abondante devait amener une hausse de la Bourse et provoquer un 'effet richesse' qui stimule la consommation. Hélas, les Japonais sont vieux, ils épargnent les gains de Bourse !", poursuit le journaliste spécialisé. Qui assène : cette "politique économique annoncée comme 'magique' a fait flop".
… Surtout lorsqu'elle est freinée. Mais il faut tout de même nuancer cette "désolation qui a de quoi dégoûter tout bon keynésien", selon les termes du magazine Usine nouvelle. Car cette déconvenue n'est pas uniquement due au plan de relance. D'une part, ce plan a été accompagné d'une hausse inédite de la TVA, de 5% à 8%. Ce qui a encore plus bridé la consommation. "La demande intérieure reste faible, car l’effet de la hausse de cette TVA est ressenti plus longtemps que prévu", observe ainsi Yuichi Kodama, économiste chez l’assureur Meiji Yasuda, cité par Le Monde. Hors loyers, les prix ont en effet augmenté de 4% entre avril et septembre 2013. Les salaires, eux, ont diminué de 2,5%.
Il faut dire que le Japon pâtit aussi d'une forte baisse de la demande de ses principaux partenaires commerciaux qui, eux, n'ont pas fait de plan de relance massif. "La déflation se profile en Europe. Le Vieux Continent est miné par l'austérité et les plans de relance se font toujours attendre. Les pays émergents dont la Chine sont également fragilisés économiquement, et la croissance de l'économie aux Etats-Unis ne semble pas viable sur le long terme", énumère ainsi Evelyne Dourille-Feer, économiste au CEPII, spécialiste du Japon, citée par Challenges.
Au final, le Japon va continuer. L'économiste du CEPII va même plus loin : les "Abenomics ne doivent pas totalement être mis en cause". Elle encourage, d'ailleurs, l’État à investir encore dans la recherche et le soutien aux ménages, pour contrer l'effet de la hausse de TVA. Et elle incite les observateurs à être patients : les effets des réformes ne se verront pas avant cinq ans. Le gouvernement nippon prévoit d'ailleurs déjà des "contre-mesures" contre la récession, à auteur de 3.000 milliards de Yens (20 milliards d'euros).
Selon certains observateurs, la récession pourrait même être l'arbre malade qui cache une forêt plutôt résistante. Le Japon, en effet, a vu son chômage tomber de 4,2 à 3,6% entre l'arrivée de Shinzo Abe et septembre 2014. Si la récession perdure, la donne risque bien entendu de changer. Mais en attendant, c'est "une récession que l'on peut envier", concluait mardi Nicolas Goetzmann, journaliste à Atlantico et auteur de Sortir l'Europe de la crise, le modèle Japonais.
>> Depuis quand le chômage existe-t-il ? La réponse en vidéo :
Le chômage existait-il déjà au Moyen Âge ?par Europe1fr