C'est un sérieux tacle qu'Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l'Economie, adresse à son prédécesseur Arnaud Montebourg. "On ne va pas résoudre les problèmes des Français en sacrifiant les notaires et les pharmaciens. Dire que cela rendra 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français, c'est une illusion", a lancé le nouveau membre du gouvernement, mercredi sur Europe1.
Pourtant, l'ancien locataire de Bercy avait misé gros sur cette réforme qui visait à dérèglementer certaines professions, telles que les notaires, les pharmaciens ou les huissiers. "Ce sera la bataille des modernes contre les anciens, la bataille de l'audace contre le conformisme", avait lancé Arnaud Montebourg, le 10 juillet, dans un discours en grande pompe, promettant une trentaine de mesures pour la rentrée. "Au total, nous espérons restituer l'équivalent de 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français", promettait-il clairement.
>> Etait-ce vraiment une illusion ? Ou le gouvernement a-t-il abandonné trop vite ? Éléments de réponse.
Un chiffre qui ne sort pas de nulle part. Le chiffre de six milliards trouve son origine dans un rapport de l'Inspection générale des Finances publiques (IGF), révélé en juillet par Les Echos. Ce dernier affirme que les professions réglementées jouissaient en moyenne, en 2010, d'un bénéfice net de 19 % de leurs chiffres d’affaires, soit 2,4 fois plus que la rentabilité constatée dans le reste de l’économie. Et plus la profession est encadrée, plus le bénéfice est grand. Le rapport présentait donc 37 mesures (fin de monopoles, modification de la fixation des tarifs...) afin de générer une baisse des prix de 5 à 24% dans les secteurs concernés.
Une application drastique de ces mesures qui pourrait, selon le rapport, générer un surcroît d’activité d’au moins 0,5 point de PIB à cinq ans (au moins 12 milliards d’euros). Conclusion des Echos : "comme la consommation représente un peu plus de la moitié du PIB, ce sont bien in fine 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat en plus pour les ménages". "Ce chiffre paraît crédible", estime encore Alexandre Judes, économiste chez COE-Rexecode, cité par le quotidien économique.
Des économies concrètes… L'exemple des notaires est le plus parlant : quand vous achetez un studio à Paris pour environ 150.000 euros, vous payez environ 2.000 euros de frais de notaire. Or, ces frais passent à 6.000 euros pour un appartement acheté 500.000 euros : soit des frais trois fois plus élevés alors que le travail est, à peu de choses près, le même. La mise en place d'un tarif unique pourrait permettre de réduire sérieusement ces coûts qui grèvent le budget des acquéreurs.
Egalement visées, les pharmacies pourraient perdre leur monopole sur la vente de médicaments. Ceux qui ne nécessitent pas une ordonnance pourraient être disponibles dans la grande distribution. Or en Italie, une telle réforme a permis de faire baisser les prix de 15 à 20%.
… Souvent soulignées. Si le chiffre même de six milliards n'est jamais apparu avant ce rapport de l'IGF, de nombreux économistes ont déjà souligné les gains d'une dérèglementation. "Les études montrent que l'ouverture des professions réglementées à la concurrence fait baisser les prix, améliore la productivité, augmente l'offre et encourage l'innovation et la compétitivité", écrivait déjà la commission Attali en 2007. Une ouverture à la concurrence "pourrait avoir un effet très large (…) et permettrait à la France d'améliorer son taux d'emploi dans les services", ont également écrit, en 2009, deux ingénieurs des Mines, Jean-François Jamet et Xavier Piccino, dans une étude relayée par Le Monde.
Pourquoi Macron n'y croît pas. Pourtant, le nouveau ministre de l'Economie reste inflexible : ce chiffre de six milliards "n'est pas vrai". Et pour cause, il faudrait appliquer à la lettre les 37 mesures du rapport de l'IGF, pour obtenir une telle somme. "Le chiffre n'est pas excessif. Mais pour atteindre six milliards, il faudrait vraiment dérèglementer en profondeur toutes ces professions. Et cela reviendrait à prendre de la poche des uns pour mettre dans la poche des autres", décrypte pour Europe1.fr Gilbert Cette, économiste associé à la faculté d'Aix-Marseille et co-auteur de Changer de modèle, un ouvrage sur la question.
Or, le gouvernement se refuse à trop spolier les professions réglementées. "Ce n'est plus un projet de loi belliqueux, mais une loi pragmatique que nous préparons", nous indiquait-on à Bercy, il y a deux jours. Il ne s'agirait donc plus de réformer l'ensemble des activités dans le viseur du gouvernement, comme les huissiers, les notaires ou les pharmaciens, mais plutôt de revoir certains tarifs de prestation et lever certains blocages.
3 millions d'employés concernés. "La sécurité juridique, sanitaire et le maillage du territoire doivent être préservés", avance encore Emmanuel Macron pour justifier la nécessité d'une réforme plus light. Car modifier les règles pourrait, à long terme, avoir des effets dommageables. Si la loi mettait fin au monopole des pharmacies par exemple, le risque serait de rendre moins rentables certaines d'entre elles dans les régions isolées. Et de grossir un peu plus les déserts pharmaceutiques.
Mais la reculade s'explique également par la pression des professions concernées. Lundi, les huissiers ont manifesté à Paris. Et une vaste mobilisation des notaires et des professions libérales devait avoir lieu le 30 septembre prochain, à l'appel de leur syndicat, l'UNAPL. "Il y a sur le terrain un niveau d'exaspération que vous n'imaginez pas", expliquait ainsi mardi au Figaro Michel Chassan, le président de ce syndicat.
Une "exaspération" qui, d'un point de vue social, ne peut pas laisser indifférent : selon l'étude des ingénieurs des Mines Jean-François Jamet et Xavier Piccino, trois millions d'employés sont concernés. "Si réforme il y a, elle se fera avec ces professions. Elles n'ont pas bougé depuis des décennies : il ne faut pas le faire contre eux", prévient donc le nouveau ministre de l'Economie. Et il a été entendu, puisque les huissiers ont d'ores et déjà annoncé la fin de leur mouvement.