"Si le maillon le plus faible de la chaîne cède, le reste se renforce", écrit Der Spiegel, l'hebdomadaire allemand, dans son édition de dimanche. Le "maillon faible", c'est la Grèce. La "chaîne", c'est la zone euro. Et selon le journal, l'exécutif allemand se dit, pour la première fois, pas opposé à ce qu'Athènes soit exclue de la famille euro.
>> Mais un tel scénario est-il vraiment possible ? Doit-on s'en inquiéter ? Éléments de réponse.
Ce que dit l'Allemagne. À en croire Der Spiegel, qui s’appuie sur "des sources proches du gouvernement allemand", Angela Merkel et son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, jugent pour la première fois "supportable une sortie de la Grèce de la monnaie unique en raison des progrès accomplis par la zone euro depuis le sommet de la crise en 2012". En clair, la zone euro est désormais suffisamment solide pour encaisser le départ de l'un de ses membres, a fortiori son "maillon faible". L'hebdomadaire est même catégorique : "le gouvernement allemand juge quasiment inévitable une sortie (de la Grèce) de la zone euro, si le chef de l'opposition Alexis Tsipras (Gauche radicale Syriza, en photo ci-dessus) dirige le gouvernement après les législatives du 25 janvier prochain, abandonne la ligne de rigueur budgétaire et ne rembourse plus les dettes du pays".
Des déclarations à nuancer. Contactée par l'AFP, la chancellerie allemande n'a ni infirmé ni confirmé cette affirmation de Der Spiegel. "La Grèce a rempli ses obligations dans le passé. Le gouvernement allemand part du principe que la Grèce va continuer à l'avenir de remplir ses obligations envers ses créanciers", a simplement déclaré un porte-parole du gouvernement.
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Plusieurs responsables européens se sont ensuite employés à nuancer les affirmations du journal allemand. L'appartenance d'un pays à la zone euro est "irrévocable", a rappelé lundi une porte-parole de la Commission européenne, Annika Breidthardt. "Les Grecs sont libres de décider souverainement", a quant à lui déclaré lundi François Hollande sur France Inter. Quitter la zone euro, "c'est à la Grèce seule d'en décider", a-t-il ajouté.
La Grèce veut garder l'euro... Et la Grèce ne semble pas vraiment désirer quitter la monnaie unique. Selon un récent sondage, les Grecs seraient 75% à vouloir rester en zone euro. Même le parti de gauche radical Syriza, légèrement en tête des intentions de vote pour les législatives du 25 janvier prochain, a modéré son discours ces derniers mois, s'engageant à maintenir la Grèce dans la zone euro et à ne pas rejeter unilatéralement le plan d'aide international.
… Mais une sortie n'est pas impossible. Toutefois, le scénario d'une sortie de la Grèce n'est pas non plus totalement farfelu. Aujourd'hui, même si le pays est redevenu excédentaire (hors dette, il y a plus de recettes publiques que de dépenses), la Grèce contracte encore une dette à plus de 170% du PIB. Le chômage est à 25% et les Grecs ont déjà subi une cure d'austérité violente. Si Syriza arrive au pouvoir, il n'est donc pas totalement impossible qu'Athènes décide de ne plus rembourser davantage ses créanciers et, in fine, de reprendre la main sur la banque centrale nationale.
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Dans une tribune sur le blog Class eco de France TV, l'économiste Alexandre Delalgue esquisse ainsi le scénario de ce qui se passerait si la Grèce refusait les conditions de ses créanciers : "les Grecs vont précipitamment retirer leurs économies, craignant une sortie de l'euro; les investisseurs retirent leurs capitaux. Le système bancaire grec a alors besoin de l'assistance d'urgence de la BCE. […] Syriza refuse. D'un coup, la devise créée par la banque centrale grecque cesse d'être des euros comme les autres, et la Grèce est sortie de la zone euro".
Sur le site project-syndicate.org, l'économiste turc Dani Riidrik résume la possibilité d'un scénario du pire ainsi : "un scénario peu probable ? Sans doute! Mais pas assez pour qu’il soit impossible".
La zone euro y survivrait-elle ? Dans ce scénario, la Grèce risquerait de se retrouver avec une monnaie complètement sous-évaluée, et donc face à une inflation brutale. En outre, le pays risquerait de se fâcher avec les investisseurs du monde entier. Ce serait alors le dur prix à payer de leur liberté monétaire, et d'un gommage de leur dette. Mais quelles seraient les conséquences pour le reste de l'Europe ? Selon le gouvernement allemand cité par Der Spiegel, elles seraient moindres.
Au vu des "progrès accomplis par la zone euro depuis le sommet de la crise en 2012", "le risque de contagion pour d'autres pays est limité car le Portugal et l'Irlande sont considérés comme assainis. Par ailleurs, le MES (mécanisme européen de stabilité) fournit un système de sauvetage puissant et l'Union bancaire assure la sécurité des instituts de crédit", auraient confié les sources du journal allemand. Pour l'éditorialiste d'Europe1 Nicolas Barré également, le risque de crise bancaire est considérablement diminué par rapport à il y a deux ans, car la Grèce a en grande partie remboursé ses créanciers privés.
>> Pour Nicolas Barré, une sortie de la Grèce serait donc possible, mais "humiliante" :
Mais les conséquences redoutées pour la zone euro ne sont pas économiques. "Un tel pas comporterait de nombreux risques pour la stabilité de la zone euro", explique ainsi l'économiste Peter Bofinger, cité par Le Figaro, pour qui les risques sont avant tout politiques. Car avec la montée des nationalismes dans de nombreux pays européens, une sortie de la Grèce pourrait donner des idées à certains. "Quoi que ce soit que la Grèce obtienne, il y aura un autre pays pour demander la même chose", résume l'économiste Alexandre Delalgue. Et de conclure : "le principe de l'euro, c'est qu'il a été créé spécifiquement pour qu'il soit impossible d'en sortir. La sortie de la Grèce de l'euro serait un scénario descriptif de ce que seraient les sorties futures".