La Cour des comptes a pointé lundi des recours "inappropriés" du gouvernement aux cabinets de conseil privés, demandant à l'Etat de clarifier les règles encadrant leur intervention qui a entraîné des dérapages financiers. Plus d'un an après le rapport du Sénat qui avait qualifié de "phénomène tentaculaire" les missions confiées par l'Etat aux cabinets privés, l'institution de la rue Cambon a réclamé dans son premier rapport rédigé à la demande de citoyens une pratique "mieux maîtrisée".
"Intervenir dans le processus de décision"
La Cour accuse notamment l'Etat de laisser certains prestataires privés comme les cabinets EY, BCG ou Roland Berger remplir des missions relevant du "cœur de métier de l'administration", voire même "intervenir dans le processus de décision" (Eurogroup, Capgemini). "C'est faux", a assuré à l'AFP David Mahé, président de Syntec Conseil, le syndicat professionnel des consultants. "On ne souhaite pas décider à la place des décideurs", a-t-il insisté. De telles pratiques ont pourtant été imputées aux cabinets de conseil dès mars 2022 par la sénatrice communiste Eliane Assassi et son collègue Les Républicains Arnaud Bazin.
Leur rapport, sorti quelques semaines avant l'élection présidentielle, avait empoisonné la campagne d'Emmanuel Macron, épinglé pour sa proximité alléguée avec de grands noms du conseil. Le Parquet national financier a ouvert en octobre 2022 deux informations judiciaires sur des soupçons de financement illégal des campagnes électorales d'Emmanuel Macron et sur les liens entre le camp présidentiel et des membres du cabinet McKinsey qui auraient pu œuvrer gratuitement lors de la campagne de 2017.
Une "solution de facilité"
Dans son rapport publié lundi, la Cour des comptes estime que le recours aux consultants privés a eu tendance à devenir une "solution de facilité" pour une administration aux moyens et aux délais contraints. L'externalisation doit retrouver "une place plus ajustée et mieux maîtrisée parmi les différents instruments des administrations pour conduire leurs missions", jugent-ils. Si David Mahé rend hommage à "la sagesse et l'objectivité" de la Cour des comptes, qui "reconnaît la valeur ajoutée du conseil" pour l'Etat, il appelle à "ne pas avoir une approche complotiste qui consiste à voir la main des cabinets derrière chaque décision publique."
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En 2021, les prestations commandées par l'Etat aux consultants ont coûté 233,6 millions d'euros, soit 0,04% des dépenses de l'Etat. "Ce sont des ordres de grandeur nettement moins élevés que dans la plupart des pays comparables", notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, a souligné le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici lundi lors d'une conférence de presse. Reste qu'entre 2017 et 2021, le montant de ces dépenses a triplé.
"Passer aux actes"
La Cour des comptes le concède, les dépenses sont retombées à 200,2 millions d'euros en 2022, année d'introduction d'une circulaire de l'ex-Premier Jean Castex visant à limiter le recours aux consultants. L'Etat s'est aussi doté d'objectifs de réduction de ses dépenses de conseil : -15% en 2022 et -35% en 2023 par rapport à 2021. Dans sa réponse annexée au rapport la Première ministre Elisabeth Borne ne juge "pas opportun de définir une doctrine plus fine d'emploi des prestations intellectuelles à un niveau interministériel", la décision de recourir aux consultants devant, selon elle, plutôt revenir à chaque ministère.
En plus de clarifier sa doctrine de recours aux consultants, l'Etat doit faire appel "chaque fois que c'est possible" à ses propres agents, recommande encore la Cour. "Nous agissons sur tous les plans et répondons déjà à l'ensemble des recommandations de la Cour", a évacué le ministère de la Fonction publique dans un message transmis à l'AFP. Après la création d'une trentaine de postes de consultants au sein de l'administration en 2023, le même nombre de recrutements devrait être effectué en 2024, détaille-t-on de même source. Très largement adoptée au Sénat en octobre 2022, une proposition de loi visant à davantage encadrer le recours aux consultants privés attend toujours d'être examinée à l'Assemblée nationale. "Une loi est plus que jamais nécessaire", ont insisté Arnaud Bazin et Eliane Assassi dans un communiqué diffusé lundi. "Nous avons perdu suffisamment de temps, le gouvernement doit passer des promesses aux actes".